De bruit et de fureur, Bourdelle sculpteur et photographe

De bruit et de fureur, Bourdelle sculpteur et photographe

Formidable expo !
mais par où commencer ?

Par le bas ! Par le sous-sol !

Par la vidéo projetée sur grand écran d’Olivier Dollinger qui  d’emblée trouve la distance et nous montre à quelle  hauteur regarder cette production de titan.

A l’instar des cinéastes qui filment la montagne, il survole à contre-jour un groupe gigantesque qu’éclaire un soleil couchant. Il fait glisser lentement sa caméra le long des muscles noueux, des torses musculeux jusqu’à la boursouflure. Elle passe au dessus des épaules et des cols, au-dessus des sommets envahis par une brume diaphane qui nimbe d’irréalité ce groupe surréel. Elle plonge au creux des ventres et des reins tordus par l’effort, par la tension du combat contre et avec la matière souvent rugueuse ; la glaise originelle, le marbre, la pierre, le bronze.

L’objectif explore des vallées d’ombre d’où surgissent les masques de la colère, les fronts bosselés, les pommettes saillantes, les bouches tordues qui hurlent en silence.

La visite peut commencer.

On peut à notre tour explorer cette œuvre à hauteur de géant, découvrir ou redécouvrir que, comme savait le faire la grande sculpture égyptienne, le colossal chez Bourdelle n’exclut pas le sensible. Aussi gigantesque que soit l’entreprise dans laquelle il s’est lancé le sculpteur n’oublie jamais de montrer avec délicatesse la palpitation de la chair. Dans certains bustes et portraits sculptés on découvre une véritable tendresse, une empathie visible pour ses modèles malgré la rudesse de sa technique.

Sauf peut-être pour quelques statues monumentales  qui, par leurs lignes et leurs volumes simplifiées, annoncent la sculpture des années 30, les personnages d’Antoine Bourdelle, issus de la mythologie et de la littérature de son temps, sont avant tout des romantiques tourmentés comme son célébrissime Beethoven.

Quand bien-même sa création traverse divers mouvements comme le symbolisme, Antoine Bourdelle ne se laisse jamais détourner du chemin qui lui est propre. Malgré quinze années passées à sculpter pour Rodin il ressort Bourdelle comme devant.

Imagine-t-on un musicien qui aurait passé quinze ans chez Karajan, capable, à la sortie, de produire un son qui ne serait pas le son Karajan ?

Antoine, lui, a su échapper à la statue du commandeur.

Élève, admirateur, puis praticien dans l’atelier de Rodin, très tôt il s’éloigne de son maître, de son style qui est encore un classicisme. Lui, veut autre chose.

Il veut dire la beauté, la force mais aussi la colère, la révolte, le désir de briser les chaînes, d’outrepasser le réel.

Il transmettra sa force à de nombreux élèves parmi lesquels Giacometti et Germaine Richier.

Soucieux de documenter, soucieux de transmettre, il réalisera tout au long de sa carrière de nombreuses photos de son travail à différentes étapes. Certaines de ces photos sont des oeuvres en elles-mêmes. Elles jalonnent l’expo et fournissent des clefs de compréhension. Elles sont une expo dans l’expo.

Si l’expressionnisme furieux de certains portraits, si la violence de certaines œuvres vous a bouleversé ou seulement fatigué, passez un moment dans la sérénité du délicieux jardin qui donne sur la rue Antoine Bourdelle.

Jusqu’au 29 janvier 2017

Musée Bourdelle
18 rue Antoine Bourdelle
75015 Paris
Ouvert tous les jours (sauf lundi et jours fériés) de 10 h à 18 h
www.bourdelle.paris.fr/

Pierre Vauconsant