Légende d’une vie

Légende d’une vie

On croit bien connaître un auteur, avoir tout lu, tout su mais une vie entière ne suffit pas pour lire tout ce qu’on rêverait de dévorer, aussi boulimique que l’on puisse être. Rien de bien grave à cela, bien au contraire. Mieux vaut se laisser envahir par une œuvre et s’en émouvoir que d’en ingurgiter mille sans rien en retirer. Et en matière de sentiments, Stephan Zweig compte parmi les maîtres. Un auteur pour le moins à la mode, au théâtre comme au cinéma. Ce n’est que justice tant son travail -on ne le dira jamais assez- est intemporel et donc éternel.

« 24 heures de la vie d’une femme », « La peur », « Le joueur d’échec »… autant de démonstrations flamboyantes du talent de l’auteur autrichien à m’immiscer dans les moindres replis de la psychologie de ses personnages et par là-même de la sienne. Une fois encore, cette « Légende d’une vie » déflore malicieusement les questionnements existentiels. Caroline Rainette parviendra à s’approcher au plus près de l’intention originelle de Zweig en optant pour une nouvelle traduction du texte tout en fusionnant astucieusement plusieurs personnages afin d’équilibrer le tandem qui évoluera sur scène. Les autres protagonistes, ô combien essentiels au développement narratif, brillant par leur évocation comme par leur absence physique au plateau.

Car qu’est-ce que nous raconte cette pièce ? Comment est-elle construite ? Sur les non-dits, les lourds secrets de famille, la trahison de l’engagement, aussi et surtout. Avec en trame de fond la couardise masculine et le sacrifice de deux femmes, successivement, l’une abandonnée, l’autre contrainte par sa condition d’employée et l’hypocrisie bourgeoise, au mensonge pour que rien ne dépasse, pour que rien n’entache le glorieux passé d’un écrivain porté aux nues.

Caroline met aussi en scène et donne la réplique à Lennie Coindeaux pour dire combien il s’avère difficile d’exister par soi-même lorsque le complexe œdipien se trouve alourdi du poids de la comparaison. Quel malheur de vouloir exercer le même métier que celui de son père, de rêver de se faire un prénom, lorsque le père fut érigé au rang de héros. Impossible de construire sa vie sans tuer le mythe. Impossible d’avancer sans qu’une alliée inespérée et courageuse, ne permette au fils de débarrasser son géniteur de ses habits de faux dieu.

Le Lucernaire ne s’y est pas trompé en programmant cette création aux accents shakespeariens. Partons à la rencontre de deux jeunes gens formidables qui font tout eux-mêmes, avec foi, ambition et humilité. Caroline Rainette et Lennie Coindeaux au micro de Vents d’Orage :

Le pitch :

L’une des rares pièces de théâtre de Zweig, jamais jouée en France. Une plongée dans la nature humaine et ses secrets ! Un fils écrasé par la mémoire d’un père adulé de tous. Une employée rongée par le poids des mensonges.

En cette fin de journée, l’effervescence règne dans la maison des Franck pour la présentation publique de la première œuvre poétique de Friedrich, fils du célèbre poète Karl Amadeus Franck, véritable légende portée aux nues par son épouse et sa biographe Clarissa von Wengen. Écrasé sous le poids de cette figure paternelle, par cette gloire qui le réduit à néant, terrifié par le regard sans pitié des bourgeois et intellectuels de la haute société, Friedrich ne supporte plus de devoir suivre les traces de ce père vénéré de tous.

C’est alors que la vérité sur son père lui est enfin dévoilée : Karl Franck n’a jamais été ce grand homme que le monde connaît. La partie obscure et basse de son être a volontairement été cachée, et Clarissa manipulée pour y parvenir. Le lourd passé de l’écrivain refait surface, anéantissant les non-dits et rétablissant la lumière sur les souvenirs épars d’un fils qui ne demande qu’à aimer à nouveau un père tout simplement humain.

Légende d’une vie
Auteur : Stephan Zweig
Traduction et Adaptation : Caroline Rainette
Mise en scène : Caroline Rainette et Lennie Coindeaux
Avec : Caroline Rainette et Lennie Coindeaux

Jusqu’au 26 août 2018, du mercredi au dimanche

Théâtre Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris

David Fargier