Les Monstrueuses

Les Monstrueuses

Le monde change, bouscule, bouleverse. Il évolue plus vite aujourd’hui qu’à nulle autre époque. Le scientisme a fait sa lente mais sûre œuvre de sape. Rien d’étonnant à ce que le quidam comme l’artiste y aient quelque peu perdu le sens de la vie, de la transmission et aussi son identité. C’est sans doute de cela dont nous parle le spectacle écrit et interprété par une femme à la double culture, comme on dit. Une femme contemporaine en passe de devenir mère à son tour. Un tournant de la vie qui sème le trouble tout autant qu’il porte espoir et vie.

Il y est aussi question des traditions, du poids que tout un chacun porte sur ses épaules, celui de l’héritage, quel qu’en soit sa nature. Le spectateur se trouve alors embarqué dans une quête généalogique. Le dialogue mère-fille comme point d’orgue, comme colonne vertébrale du propos. On frémit avec cette héroïne qui s’interroge sur ce qu’elle a reçu, du Yémen et de la France. De femmes qui l’ont construite, l’ont préparée, parfois sans qu’elle en soit totalement consciente, à passer le flambeau. Pour ne pas/plus perdre de vue d’où elle vient avant que de savoir où son enfant ira.

La mise en espace dépouillée focalise l’attention sur le verbe, besoin irrépressible de mettre des mots aussi justes que possible sur les sentiments, sans grandiloquence aucune. Nous portons dans notre chair comme dans notre âme ce que nos parents nous ont légués. Un jeu de construction complexe et parfois ardu à pénétrer, magnifiquement décortiqué dans les différents points de lumière découpés par la scénographie. Dans chaque espace, la rencontre avec une femme. En chaque point de lumière, un morceau de l’héritage. Un mélange savamment dosé de réalité, d’histoire et d’onirisme.

Le malaise dont est victime Ella, ne tient en rien du hasard. Il manifeste l’inquiétude et les modifications physiologiques à l’œuvre dans un corps qui porte en son sein le futur et le passé. Le malaise serra aussi et surtout salvateur, battra en brèche les doutes quant à l’envie de contribuer lui-aussi au cycle de la vie.

Le pitch :

« Mes règles ont 10 jours de retard, je sais ce que ça veut dire des règles qui ne viennent pas en 2008, il ne faut pas être bien intelligente pour comprendre ce que 10 jours de retard, la France l’amour en 2008… Il faut avoir un peu de sottise en soi et assez de soleil pour le crier dans la rue à tue-tête ». Ella, jeune femme d’aujourd’hui, perd connaissance devant un laboratoire d’analyse médicale et se réveille dans une chambre d’hôpital « en 1929 ».

Un médecin décide de l’accompagner : « parlez-moi de tout ce dont vous vous souvenez, même si certaines choses vous semblent anachroniques, sans cela je ne pourrai pas comprendre, sans comprendre je ne pourrai pas venir vous chercher là où vous vous trouvez à présent, vous comprenez ? » Au gré de son amnésie posttraumatique, Ella parcourt le sillon emprunté par les filles et mères de sa généalogie. Un récit des origines intime, haletant, victorieux.

Les monstrueuses
Auteur : Leïla Anis
Mise en scène : Karim Hammiche
Avec : Leïla Anis

Maison des Métallos
78 bis boulevard des Batignolles
75017 Paris

David Fargier – Vents d’Orage