L’esprit des lieux

L’esprit des lieux

Regards photographiques sur le Petit Palais

Lorsque des institutions passent commande auprès de photographes afin de garder trace d’un moment donné, il est rare que les réalisations soient exposées de suite.

C’est la première fois que le Petit Palais présente une exposition dédiée à son jeune fonds photographique. Ils sont 7 artistes – 7 photographes – qui proposent 7 visions de l’esprit des lieux : Vasco Ascolini, Jean-Christophe Ballot, Stéphane Couturier, Bruno Delamain, Flore, Hélène Langlois, Julien Lescoeur. Ainsi c’est une centaine de photographies contemporaines acquises ces dix dernières années, portant un regard particulier sur le musée lui-même, qui sont exposées.

Les artistes :

Vasco Ascolini (né en 1937, vit et travaille à Reggio Emilia) Profondément marqué par l’univers théâtral au sein duquel il travaille longuement, Vasco Ascolini accorde une attention particulière aux effets dramatiques de la lumière. Les institutions muséales deviennent l’un de ses sujets de prédilection dès les années 1970. Attiré par les zones d’ombre et la gestuelle déclamatoire, Vasco Ascolini fait de la sculpture, ou plutôt des sculptures et de leur vie secrète, l’une de ses recherches majeures. Le photographe vient rencontrer celles du Petit Palais à l’automne 2016. L’utilisation exclusive du noir et blanc et du papier baryté accentuent la violence des contrastes, et les jeux de miroir et de trompe-l’œil égarent le spectateur. Vasco Ascolini donne une interprétation à la fois mélancolique et joueuse de l’ambiance du musée. Les superpositions, les flous et les cadrages à fleur d’objet font naître un étonnant peuple d’ombres.

Jean-Christophe Ballot (né en 1960, vit et travaille à Paris) Architecte et cinéaste de formation, grand voyageur, Jean-Christophe Ballot axe son travail photographique sur la perception et le rendu de l’espace. Son approche se veut très classique : l’emploi de la chambre photographique et du trépied, le temps de pose de plusieurs secondes installent le photographe dans son sujet, et lui permettent de travailler la durée plutôt que l’instantané. Le travail avec la lumière naturelle, l’attention à la qualité intrinsèque de celle-ci à l’intérieur du bâtiment ont guidé les pas de Jean-Christophe Ballot au Petit Palais. S’attardant sur un angle de vue inattendu, sur un éclairage précis à une heure particulière, ses prises de vue paraissent retenir une présence fugitive. Le regard sur l’architecture se double d’un regard sur les œuvres, qui apparaissent sous un jour inattendu.

Stéphane Couturier (né en 1957, vit et travaille à Paris) Depuis la fin des années 1980, Stéphane Couturier documente les transformations urbaines, en France, en Europe et dans le monde. Il suit ainsi les travaux du Grand Palais, effectuant plusieurs campagnes de prises de vues, entre 1997 et 2003-2004 – des premières interventions de consolidation à la pose des échafaudages pour la réalisation des travaux de la grande nef. Ce travail donne lieu aux deux portfolios présentés ici. Alors qu’il photographie le Grand Palais, le Petit Palais vit également sa rénovation. Ce bâtiment intrigue l’artiste. Il n’obtiendra malheureusement pas l’autorisation de suivre le chantier et ne pourra visiter les lieux qu’une fois. Privilégiant la vue frontale et la planéité, et fidèle à son goût pour l’indétermination spatiale, le photographe fait hésiter le spectateur : sommes-nous dedans ou dehors ? Avec ses vues dont il faut décrypter les strates, Stéphane Couturier nous propose des portraits de lieux invisibles et disparus.

Bruno Delamain (né en 1955, vit et travaille à Paris) Photographe formé à l’école Louis Lumière, Bruno Delamain fait la connaissance de l’architecte Philippe Chaix en 1991. Une collaboration régulière s’engage. Lorsque Philippe Chaix est désigné avec Jean-Paul Morel pour conduire la rénovation du Petit Palais, le photographe leur emboîte le pas. Il y travaille de novembre 2005 à janvier 2006, s’intéressant aux coulisses d’une métamorphose. De ce travail naissent vingt-trois photographies noir et blanc, dont trois sont conservées aujourd’hui au musée. D’un noir profond, elles offrent une vision très abstraite du chantier : perspectives inattendues, lieux désertés, l’agitation disparaît au profit d’un regard méditatif sur la transformation architecturale.

Flore (née en 1963, vit et travaille à Paris) Lors de la rénovation du musée, la Mairie de Paris confie une carte blanche à l’artiste franco-espagnole Flore pour la couverture photographique du chantier. Ce travail, qui dure cinq ans (2000- 2005), mène peu à peu l’artiste à produire un grand nombre d’images aujourd’hui dans la collection. Ces cinq années de travail lui ont permis d’établir un lien étroit avec le musée en mutation : elle promène son objectif dans les anciennes salles en cours de démantèlement, suit les pelleteuses qui creusent dans le jardin, observe la forêt d’échafaudages qui dérobe l’architecture au regard… De l’intérieur, elle accompagne la transformation, qui culmine avec la réinstallation des œuvres dans leurs nouvelles salles. Des premiers tirages d’artiste tout en noirs ou aux couleurs estompées, évoquant la ruine envahissante dans des flous appuyés, en passant par une série qui évoque étrangement le monde souterrain, elle aboutit aux vues lumineuses des espaces vides et dorés.

Hélène Langlois (née en 1975, vit et travaille à Paris) Après des études d’histoire de l’art à l’École du Louvre, Hélène Langlois entre ensuite à l’École Supérieure des Beaux-Arts du Mans où elle obtient son diplôme en 2001. Elle commence à travailler au Petit Palais en 2003. Munie de son appareil, elle parcourt l’espace en mutation durant trois ans. Elle se forge ainsi un regard personnel, et une approche de l’architecture très sensible au fragment et aux structures précaires. Son travail évolue avec le chantier, et se focalise peu à peu sur la couleur et ses subtiles variations, qu’elle observe dans les matériaux de rebut et les lieux inattendus. Il s’agit là des premières œuvres achevées de la photographe : elles révèlent avec force un talent aujourd’hui affirmé, qui continue d’explorer la lumière quotidienne et ce qu’elle peut révéler de l’intime.

Julien Lescoeur (né en 1978, vit et travaille à Paris) se forme à la photographie lors de ses études artistiques, pratiquant notamment la peinture et le dessin. Son expérience en Allemagne s’avère essentielle dans le développement de son œuvre : l’Ecole de Düsseldorf et le New Topographics, la ville de Berlin avec ses entre-deux et ses présences photographiques, nourrissent son travail. Invité à découvrir un bâtiment éloigné de ses sujets de prédilection, le Petit Palais représentant d’une architecture et d’un goût éclectiques et foisonnants, l’artiste s’est lancé le défi de traquer en ce palais Belle-Époque les éléments ignorés d’une abbaye cistercienne. Et le défi est relevé : faisant preuve d’un regard singulier et surprenant pour qui connaît les lieux, le photographe transfigure l’espace.

Jusqu’au 8 juillet 2018

Petit Palais
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h – entrée libre

Photos in situ : Véronique Grange-Spahis