Ne tournez pas la page

Ne tournez pas la page 

L’autrice Seray Şahiner a mis en scène l’un des fameux faits divers qui sont relatés dans la majorité des journaux turcs.

L’histoire commence avec Leyla, une femme turque de condition modeste, qui n’a pas fait d’études et n’a d’autres choix que de travailler à l’usine. Naïve, abreuvée des séries télévisées, elle rêve du grand amour et de s’enfuir avec Ömer, le bellâtre dont toutes les ouvrières sont amoureuses. Un soir, le patron de l’atelier va la violer. Elle tait l’incident, jusqu’à ce qu’une fausse couche l’oblige à raconter son agression. Elle espérait que son père et son oncle la vengeraient. Il n’en sera rien, pour sauver l’honneur de la famille, ils décident de la marier à un marchand beaucoup plus âgé. C’est un bon parti, veuf, il possède un magasin et cherche une jeune épouse pouvant prendre soin de lui puisque ses enfants devenus grands vivent loin. Enfin, il va surtout leur remettre une somme d’argent en échange. Leyla ne s’oppose pas au mariage, comment pourrait-elle ? Son quotidien se partage entre violences conjugales et séries télévisées. Lorsque son mari rentre de ses soirées entre hommes, complètement éméché, il se venge de ses frustrations et déverse toute son amertume sur elle. Cette descente aux enfers se termine évidement mal. On est alors au milieu du livre et l’autrice s’adresse aux lecteurs en ces termes : « L’histoire ne vous a pas plu ? Moi, non plus, réécrivons là ». Elle reprend le scénario en imaginant un déroulement différent, mais vraiment ancré dans le réel. Et c’est là toute la force de ce livre, avoir imaginé un cheminement vers une libération qui soit plausible avec son conditionnement de femme turque, n’ayant jamais eu accès à la culture et n’ayant d’autres sources d’enseignement que la télévision. A sa manière, avec sa propre progression Leyla va se révolter contre sa condition de femme battue, méprisée, opprimée.

Cet ouvrage « Antabus » paru en Turquie en 2014 est traduit pour la première fois en français, par les éditions Belleville, petit éditeur indépendant qui s’est donné pour but de traduire et publier des livres étrangers inconnus du public français. Pour faire leur choix, ils s’appuient sur les recommandations des libraires de quartiers, des pays visés. Ils apportent un soin particulier à la traduction de leurs ouvrages et mettent en annexe, de nombreuses données sur les us et coutumes du pays permettant une meilleure appréhension de l’histoire. Et pour les plus curieux, sur leur site il existe un lien pour plus d’informations encore.

Quant à l’auteur, Seray Şahiner elle a écrit plusieurs livres qui donnent la parole aux femmes opprimées, violées, battues. Vivant à Istanbul, étiquetée féministe, elle a été mise en examen par le pouvoir et s’en est sortie par un non-lieu. « Ne tournez pas la page » a été adapté au théâtre et est joué à guichets fermés, depuis 2 ans à Istanbul.

Seray Şahiner l’une des voix féministes de la littérature turque.
© Sedat Suna

Ne tournez pas la page-
Editions Belleville – 160 pages – 17 €

Barbara Ates Villaudy