p(E)nsements

p(E)nsements

Par cette exposition à l’orthographe détournée entre la pensée et le pansement, Eugénie Fauny, du haut de ses 44 ans se dit enfin reconstruite et nouvelle. Ne plus faire semblant, ne plus se taire comme pendant ses 24 ans de silence après une agression sexuelle commise par son beau-père à la piscine municipale de Saint-Lô le 26 juin 1985 et qui sera le début d’une longue histoire muette qui détruira sa famille et qui révélera grâce à sa parole en 2009 et à celle de sa sœur, la découverte de plusieurs autres victimes du même agresseur… Depuis 1999, Eugénie arrache la peau de son papier glacé et reconstruit sans cesse des images sublimées.

 » Ma technique est sauvage dans son mouvement sec et vif, et c’est ce mouvement précis d’arrachage et de reconstruction d’images passées qui m’ont aidé durant toutes ces années. »

Ses muses qu’elle arrache au ruban adhésif sont la femme et sa beauté, la poésie, la musique, la liberté et l’amour. Ses nombreux rouleaux se sont déroulés à l’infini depuis presque 20 ans. Aujourd’hui, elle est parrainée par la marque 3M – Les adhésifs Scotch® lui offre son or blanc. Ses pensées tristes sont enfin pansées. Demain est devant… Et beau. Eugénie insiste à DIRE qu’il faut à tout prix s’exprimer sur des violences vécues et que l’art et la création sous toutes ses formes aident et soulagent la blessure…

L’exposition p(e)nsements est soutenue par Patrick Pelloux qui a découvert l’Art Taping d’Eugénie sur la toile. Celui-ci est touché et voit rapidement dans son art brut et singulier un point commun avec son métier de médecin urgentiste : Celui d’arracher un pansement d’un coup sec de sa peau.  » Le dire pour ne plus avoir peur. »

 » Grâce au regard de Patrick pelloix posé sur mon art, j’ai eu envie d’écrire. Je me suis enfermée dans mon atelier durant 5 jours et j’ai réussi à écrire douloureusement 14 pages de mon histoire. » Celui de panser une blessure. Pour Eugénie, c’est une blessure d’enfance et de silence. »

En voici un extrait :

J’ai 11 ans. Ma mère est allongée au bord de ce bleu trouble. Posée comme une sirène sur son béton recouvert d’une éponge, elle se repose et prend le temps enfin d’apprécier son bonheur. Elle est amoureuse. Légère comme un pollen dans l’air.
–  » Tu sais faire la planche ?  » Me demande-t-il, dans ce jaune écrasant du soleil.  » Viens, lève-toi. Je vais t’apprendre. » J’étais un peu gênée de me lever, là, comme ça, vêtue de mon petit maillot deux pièces noir et blanc à petit pois et dans mon corps un peu courbé en avant par le poids d’un complexe naissant.
Mais en tous les cas, ravie que l’homme de ma mère me fasse une telle proposition. Je me précipite dans l’eau le plus rapidement possible. En laissant ma mère, là, plantée sur ce béton chaud. Nous sommes tous les deux dans ce grand bain bleu. Je suis accrochée au rebord comme un mollusque rampant sur un rocher.
– « Viens, on va un peu plus loin, c’est plus calme là-bas. Approche, je vais te montrer comment faire. Me dit-il. Tu dois d’abord essayer de te mettre sur le dos pour essayer de flotter. Je vais t’aider.  » Je m’exécute et me mets tant bien que mal sur le dos. Il pose ses mains sur mes hanches pour m’aider à trouver l’équilibre voulu.
Passe ensuite une main sur le bas de mon dos et l’autre sur mon ventre jusqu’à exercer un va et vient agréable dans l’eau, jusqu’à m’offrir un flottement parfait.
Mes yeux regardent ce ciel bleu de juin.
J’étais bien. J’étais heureuse, car ma mère l’était enfin.
Je sentie une de ses mains, dévier de son chemin d’apprentissage. Elle glissa comme si de rien n’était sous ma culotte de maillot de bain. Et se posa, comme une feuille sur mon sexe. Le temps me parut très long, j’étais comme paralysée dans ma tête et dans mon corps. A cet instant précis, ma vie de petite fille allait basculer dans un réflexe que je ne connaissais pas.
Je me suis échappée rapidement de sa main vicieuse, en prétextant je ne sais plus quoi du tout. Car dès ce jour, ma mémoire a commencé ce long périple, qu’est le déni.

Sans en avoir conscience, j’allais vouloir tout oublier. Et faire en sorte qu’il ne recommence jamais. (Extrait « Black Blue » mon histoire. Eugénie Fauny.)

L’exposition d’Eugénie Fauny a cette qualité de mettre des pansements partout où ça fait mal. La beauté de ces êtres disparus qui nous manquent tant, dessinée par ses scotches leur redonne une modernité tels les dessins d’Ernest Pignon Ernest. Les visages ou situations du temps présent deviennent exaltants avec les rubans adhésifs qui les entassent tel le soleil sur les corps par les belles journées d’été. L’artiste par sa création fait vivre les choses sans nostalgie ni tristesse. Finalement c’est comme les pansements ça ne fait rien oublier du mal mais il est apaisé, maitrisé, contenu. La création artistique, la Culture, est toujours un acte qui conduit à la lumière, des esprits comme des sociétés. Les choix judicieux des tableaux d’Eugénie permettent aux visiteurs de regarder la vie autrement et de découvrir encore des choses inexplorées car l’artiste révèle forcément des faces cachées par le truchement de pansements, ce qui en fait un coté humoristique et philosophique. Patrick Pelloux, médecin urgentiste et écrivain

Eugénie Fauny est artiste plasticienne. Elle pratique une technique personnelle depuis 1999. Celle de faire de l’art avec du ruban adhésif.

Jusqu’au 15 juillet 2018

Nunc
3, rue d’Arras
75005 Paris
Ouvert le jeudi-vendredi-samedi de 14h à 19h

http://eugeniefauny.com/