Soirée Dalida

Soirée Dalida

Paris est mort… Vive Madame Arthur !

20h55, je tente de me frayer un chemin depuis l’entrée vers la scène du Divan. Vers l’antre où tout va se passer. C’est la guerre mais je connais les lieux. Je joue des coudes, sourire aux lèvres, à la frontière poreuse entre avenant et obséquieux. Parisien, quoi. Mais qu’on pense de moi ce que l’on veut. Car cette maison m’appartient. Les créatures qu’on y voit se dandiner sur scène sont à moi.

Deux ans que ça dure. Deux ans qu’une poignée sait ce qui se trame derrière les tentures rouges ou noires. Deux ans qu’on visse nos culs sur des banquettes bleu canard… bleu j’te veux. Ils sourient, elles chantent, ils crient, elles fulminent et se pâment. Des chanteurs travestis, rends-toi compte, des pédés comme ils disent. Pédés ou pas, on s’en fout bien, non ? Comme je me fous de ton âge, de ton sexe, de la couleur des poils de ton cul. La vie est ailleurs. La sagesse de l’âge m’autoriserait presque à croire que je dis vrai.

Et puis tant pis si tu ne me crois pas. Moi je suis là parce que Paris is dead depuis des lustres. Que Jane et Serge ont déserté les nuits fauves, que Gréco a cessé de cracher dans la main des physio xénophobes. Pigalle se traine dans l’artifice, la fange à touristes, fiers de s’encanailler dans des sex-shops de pacotille, écrans de fumée aux vies ternes et aux trafics de came. Et puisque Pigalle est morte, vidée, saignée, humiliée, il ne resterait plus que le souvenir lointain des anges déchus ?

Pas si sûr. Une flamme renait. C’est parce que Monsieur K., que Björk coule des larmes de mercure, que Kurt Weil inventa le cabaret. Le cabaret et Berlin. Parce que Corinne, que l’on découvre l’enfant caché de Bashung et Johnny Rotten. Parce que Patachtouille, que Loïs Fuller fut un papillon de soie. Ce soir Dalida brille plus fort que jamais. En voilà bien une autre qu’on affubla des plus laids costumes. Une chanteuse de seconde zone, hein ?

Billie, Carmen Maria Vega, Lio et Clarika ne l’entendent pas de cette oreille et viennent prêter main forte à l’armada en plumes et faux cils. Pour hurler la vie, lécher la sueur, pleurer et rire avant qu’il ne soit trop tard. Le monde immonde part en fumée le temps d’une chanson. Le temps d’une parenthèse emperruquée. Ceux qui raillaient hier ces bêtes irrévérencieuses, se ruent aujourd’hui chez Madame Arthur. Ils s’entre-tueront demain pour y trouver la différence. Certains comme on mate, l’oeil bovin, des phénomènes de foire. D’autres comme on aime la nuit, pour oublier la bêtise et la mort, entre un sanglot et un shot de vodka. Boom !

David Fargier – Vents d’Orage