Au bonheur des smartphones

Au bonheur des smartphones

 

C’était une morne journée d’automne. Le soleil se levait dans un gris de fumée, strié par de rares morceaux bleutés. Une foule se pressait aux portes du Lycée Notre Drame, baignée par une faible lumière, qui tentait de transpercer l’opaque masse nuageuse des cerveaux d’une longue file de lycéens, arborant chacun l’œil vif des jeunes gens de seize ans. Les minces rayons de soleil éclairaient les écrans lisses des smartphones appartenant aux adolescents.

Kilian Rougon brandissait fièrement son Iphone 7, d’une capacité de 128 Go, ce qui suffisait à faire sa fierté et sa renommée parmi les lycéens. Tous s’extasiaient devant cette divinité technologique, à la coque sobrement griffée d’une marque sublime, très haute couture, délicate, ressemblant à un vague trait quelque peu courbé, ayant un rapport lointain mais certain avec une fameuse déesse grecque.

Kevin Macquart, lui, se tenait un peu à l’écart. En effet, ce dernier n’avait en sa possession qu’un Lubi 4, misérable Wiko à touches, ne possédant pas même de coque mais une pochette, qualifié d’  « ancêtre » par ses amis les plus proches : Steve Zalbac et Dylan Saccard.

Le premier tenait négligemment dans sa main un Iphone SE, plus que respecté pour ses 16 Go internes, et un DAS ne dépassant pas 0,720 w/kg, d’une couleur argentée mais noire pour les contours de l’écran, créant un sublime contraste qui mettait en valeur le bouton au summum de la technologie, représentant la marque à la pomme croquée volée aux Beatles, synchronisé à merveille avec un très bel écran (au curieux message d’accueil : « Honoré de Zalbac, la Comédie Lycéenne »).

Dylan Saccard, quant à lui, ne donnait ni dans le grec, ni dans l’américain, mais dans le coréen : heureux propriétaire d’un Samsung S7 edge aux bords incurvés sur une admirable coque, où venaient se refléter les rayons naissants du matin. Cette protection à la fois or et argent donnait un charme particulier à ce smartphone de grand prix, au design gracieux et lisse, qui semblait fluide en tous points.

Tandis que Kevin Macquart regardait les appareils de ses amis avec envie, Gus Bertflau passait, avec son appareil issu du Grec « archos » – « celui qui conduit »-  à la coque azurée, les bords carrés mettant en valeur l’écran qui paraissait légèrement bombé, ses écouteurs intra-auriculaires profondément enfoncés dans ses oreilles. Ce jeune sourd s’exclama, sur un ton populaire et peu châtié, en voyant arriver Emilie Lazo, et son splendidement féminin Asus, au bel écran irisé, enrichi par une protection personnalisée d’un goût certain : un drapeau américain rose fluo incrusté de brillants :

– « Eh, Lazo, tu viens de la Zone ? »

– « Non, s’exclama la précieuse Emilie, qui ne comprenait pas le jeu de mots, je viens de Médan »

Gus Bertflau, déçu de sa réponse, se demanda si finalement l’intelligence se mesurait uniquement à la marque du téléphone, puis détourna le regard vers Jennifer Toutin et son amie proche, Cathy Laroche, toutes deux équipées de fistons japonais, plus connus sous le nom de Sony Xperia Z3, de précieux carrés, sans aucun doute parmi les plus poussés au niveau de la beauté et de l’esthétisme : ces véritables bijoux entièrement blancs dégageaient une certaine classe, le fond des deux téléphones représentant les immeubles parisiens que possédaient leurs parents, que l’interface fluide ne faisait qu’accentuer.

– « Qu’avez-vous en première heure ?»

–  « Du français », gloussèrent les filles en chœur

–  « Vous en êtes où ? »

–  « On étudie Bob Dylan, se plaignirent les demoiselles. Tu sais, le Prix Nobel de littérature ».

–  « Dur, compatit Bertflau, ça doit être très difficile à comprendre et à décrypter ! »

–  « Ah oui, renchérit Cathy, les paroles sont très profondes

– « Au fait, reprit Jennifer, il paraît que le prochain Nobel de littérature sera Maître Gims.»

– « Pas du tout, s’exclama Bertflau, on dit au contraire que ce sera Justine Petitbeurre ! »

Pendant ce temps, Dylan Saccard se tordait désespérément afin d’essayer d’amener sa tête au niveau de ses chaussures.

– « Mais qu’est-ce qu’il fait ?» demanda Bertflau.

– « Il tente d’atteindre ses écouteurs. Il les a cachés, non pas dans son pull, mais dans ses lacets… », répondit Cathy tandis que Dylan Saccard, toujours à la pointe de la technologie et de l’intelligence, venait d’arracher un de ses lacets en tentant de le faire entrer dans une de ses oreilles…

Olivier Denis, 1ere L, Lycée Notre Dame de Mantes la Jolie
Illustration : Ariane Denis 

Note de l’auteur : Ce texte s’inspire de l’incipit de « La Curée » d’Emile Zola.