Ethan Greenbaum, oeil et main photographiques

Ethan Greenbaum, oeil et main photographiques

Les formes se renouvellent à la galerie Pact, qui accueille jusqu’au 1er décembre 2016 une exposition consacrée au photographe américain Ethan Greenbaum.

Alors que le Centre Pompidou célèbre Brassaï, la galerie Pact a aussi fait le choix de rendre hommage à l’exploration urbaine en accueillant la première exposition monographique d’Ethan Greenbaum en Europe.

« Cold Frame » propose une déambulation photographique doucement colorée dans l’état de New York où habite l’artiste — son atelier se trouve à Brooklyn. Une dizaine de vues composent l’exposition, majoritairement des plans rapprochés, myopes, décontextualisant des sujets plutôt anodins, ceux de la ville en mutation : vues de chantiers, murs de briques en construction, reflets pris dans les vitres d’automobiles, portes, etc. Des photographies parfois issues d’une transgression, inhérente à la pratique de l’urbex, puisqu’Ethan Greenbaum capture certaines de ses images derrière les clôtures de chantiers. La pratique n’est toutefois pas documentaire ; le photographe ne néglige pas la post-production en reprenant la luminosité, le contraste et l’intensité des couleurs de ses prises, l’effet accentuant de vibrants effets de textures.

Mais ce qui ne s’apparente à première vue « qu’à » de la photographie dévoile bientôt un projet plus complexe. Si les textures des clichés d’Ethan Greenbaum semblent si vraies, c’est que, d’une certaine manière, elles le sont. Grâce à un procédé récent, le CNC Carving, le photographe-plasticien utilise un programme pour forer les surfaces de plexiglas ou de corian sur lesquelles il imprime ensuite ses tirages. La photographie possède une topographie ; elle est tactile. Les briques deviennent alors bien réelles, poreuses ; le gras du mortier entre elles déborde.

La photographie cesse de n’être que surface ; elle se dote d’une nouvelle dimension, l’espace. Elle fuit la planéité, adopte une logique sculpturale ; elle devient un subtil bas-relief de textures générées aléatoirement. Enfin, elle est acquise par un procédé hybride, absorbant et détournant les technologies modernes. Ethan Greenbaum crée une forme photographique inédite, qui badine avec la sculpture. Ajoutez à cela l’irréalité et la douceur de ses couleurs, et vous obtenez des oeuvres sensuelles et profondément méditatives — alors qu’elles ont justement pour point de départ ce qui n’est habituellement que bruit et mouvement.

« La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel », écrivait Baudelaire dans « Le Cygne ». Ethan Greenbaum nous réconcilie, temporairement, avec cette violence du temps, en le suspendant.

C’est le projet de la galerie Pact que de mettre en perspective ses solo shows avec une œuvre d’un autre artiste ayant inspiré la série exposée ou à travers l’intervention d’un regard extérieur à l’art contemporain — un « pacte », d’où son nom. Pour « Cold Frame », Ethan Greenbaum a choisi Aaron Siskind et son épreuve Acolman (1955). Ce cliché, traditionnel dans sa forme, montre en gros plan des vestiges ; écho à cette esthétique de la trace, écho à ce présent qui apparait déjà comme les ruines de l’avenir, sans angoisse.

Après avoir exposé Dorian Gaudin — que l’on pourra retrouver en 2017 en solo show au Palais de Tokyo —, Michael Bevilacqua ou Manuel Scano Larrazàbal, la jeune galerie Pact poursuit avec brio son exploration de la scène contemporaine cutting edge.

 

« Cold Frame », jusqu’au 1er décembre 2016

Galerie pact
70 rue des Gravilliers
75003 Paris
du mardi au samedi de 11h à 19h

Clément Thibault – Critique d’art, journaliste