Margaw, chapitre 1

Nouvelle de Nicolas Jolivalt

Chapitre 1.

Je songe au sang des anges. Le ciel orange bascule aux couleurs d’ambres, empli de jeux d’ombres et de cendres.

A l’hiver, ce monde me hante de flocons ; tandis que la peur s’abandonne, d’une mort lente et mordante, étrangère à l’horizon.

Monde d’effroi, monde de neige et de ténèbres, mes peurs surgissent, rugissent à l’unisson. Elles me pénètrent sans raison. Je regarde mon reflet dans une vitrine, cheveux épars, le vent mugit. Mon corps squelettique se fige. Perception de hurlements sur la façade aquatique. Je disparais de la surface bitumée trop souvent piétinée.

Les imposantes cloches de la ville sonnent cinq heures et sans un bruit, les oiseaux gris et noirs s’envolent dans l’air du soir.

Je rouvre les yeux ; le dernier battement d’ailes disparaît, me laissant seul sur le trottoir sombre.

Jeu sombre alors dans un état dépressif. Machinalement je me plante un coup de canif.

La saleté du ciel d’un gris-débris plombe l’atmosphère à l’infini. Lèvres vermeille. Mon corps gorgé d’eau tremble et se couvre de spasmes. L’espace autour de moi se disloque. Le canif dans mes entrailles, l’onde de choc, s’incruste dans mon âme.

Mes yeux se ferment enfin.

Je me réveille dans une chambre d’hôpital. L’odeur médicamenteuse me provoque une nausée intense et douteuse. Le mal m’envahit.

Une infirmière aux cheveux gris clair s’avance vers moi, une seringue à la main. Elle me glisse un sédatif. Je me rendors et replonge dans cet univers morbide.

Je me réveille.

Je ne sais depuis combien de temps je dormais. La chambre est plongée dans le noir et le silence règne.

Mes yeux s’habituent à l’obscurité. Je remarque juste une table sur laquelle est posé un bouquet de fleurs fanées. Porte fermée. Verrouillée ? Je tente de me lever, mais je crie de douleur en m’affaissant sur le côté. Mes chevilles et mes poignets sont attachés par des lanières de cuir. Des bruits de pas se font entendre. J’ai bien peur de devoir me justifier.

La porte s’ouvre. Des paroles viennent à mon secours mais je n’entends rien. Mes yeux embués se referment.

Mon ciel s’assombrit. Des volutes de nuages virevoltent sous cette voûte menaçante. Les anges sont partis. Mes mondes de mirages se confondent, images ensorcelantes.

L’amour, cette émotion étrange, qui vous ronge le ventre. Cette sensation qui vous hante et vous transporte. Ce fantôme qui m’habite. Je m’oublie. Je suis pudique. Ce sentiment m’agite et me rend violent. Dans la cour, au pied du bâtiment insolent, une gifle. Une sonorité qui claque, qui marque. La tristesse survient et le canif est la solution efficace.

Ainsi, je m’efface.

Les cloches sonnent. Perdu dans mes pensées, des larmes. La lame du couteau s’abîme dans mes entrailles.

Je me réveille en sursaut. Je suis chez moi, hagard, en manque d’eau. Mes membres ne répondent plus. Dans un état léthargique, je suis enseveli sous des vagues de draps. Je manque de me noyer. Drogué. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. L’hiver m’a rendu fou à lier. Je tente alors de revenir vers mon passé.

Quelques jours passent. J’ai réussi à me traîner hors de mon lit. Je fume cigarette sur cigarette, et consomme quantité de vin. Mon corps et mon âme s’engourdissent, fixés à la fenêtre, dans la peur des lendemains.

Le gel sur les trottoirs, croûte laiteuse, efface un moment les heurts des passants. Virginité du quartier contre cruauté de l’été. Je ris devant cet univers glissant et ces gens ahuris.

D’où viennent ma peine et mes colères ? Des pensées saccagent mon esprit.

Je me ressers du vin. Troisième bouteille. Etat cotonneux. Je titube. Très vite, je tombe. Ma tête heurte le sol. Trou noir. Personne ne s’inquiète, je me rebelle contre moi-même. Isolé et fragilisé.

Nouvelle bouteille. Les jours se suivent, me lassent. L’odeur de clope, le parfum du vin pénètrent les moindres recoins. Mon corps s’émacie et mon âme se décompose.

Bientôt, l’estomac m’arrache des cris dans la nuit. La faim se fait sauvage, prédatrice. Je pleure, recroquevillé. Des heures insensées. Le sol est jonché des cadavres de mes idées.

Les journées ne passent pas. Je tourne et vire dans mon espace imparfait. A défaut de nourriture, je dévore de nombreux ouvrages, que je n’avais ni l’envie ni le temps de lire auparavant. Je vendais d’autres livres, la mort dans l’âme et les croquais dans une miche de pain.

J’ai travaillé. Des tâches ingrates. Je n’étais ni motivé ni passionné par ce que je faisais. Je me suicidai socialement.

Le soir est une délivrance de la journée passée et une issue aux problèmes rencontrés. Je m’abreuve de vin et m’oublie. La folie me guette. Je me réfugie dans l’écriture et la peinture. Des cigarettes se consument. Je renais de leurs cendres.

Sans doute mon instinct de survie me sauvera-t-il.

Le soleil apparaît enfin. J’écrase un mégot qui brûle mes doigts. Du balcon, j’aperçois Paris. Je rallume une cigarette et m’enfuis.

Le ciel se reflète sur la surface gelée du trottoir. Et si le ciel était ma terre ? Je marcherai ainsi sur les nuages, boirai leur eau, nagerai dans son océan d’étoiles et contemplerai la vie d’en haut.

Je glisse ainsi jusqu’à Paris, perdu entre réalité et inepties. La nuit tombe et le vent se fait plus frais. Paris me plaît. La foule sombre s’engouffre dans le métro.

J’entre dans un bistrot et prie qu’on me serve un verre. Je grille une cigarette, je respire enfin. Je suis fin prêt : mon rendez-vous est dans une heure. Je mentirai si j’affirmais être heureux.

(à suivre…)