Margaw, chapitre 5

Nouvelle de Nicolas Jolivalt

Chapitre 5.

Je vois passer le train du haut de la passerelle. Mes mains réagissent violemment. Dans le ciel, les oiseaux claquent leurs ailes.

Des lumières noires battent sous mes paupières, mon visage se crispe. Sifflement dans mes oreilles. Des cieux, des louanges. Mes jambes ne répondent plus.

Des passants tentent de me relever. En vain.

Police, pompiers. Sirènes sous le ciel orange. Flots des anges.

J’entends un murmure comme une écorchure :

Je rôde quand tu dors
Je t’épine et t’explore
Je te berce encore
La fin est proche
De la terre, vois ces roses
Lames rouges écloses

A mon réveil, ces mots reviennent sans cesse. Je tourne en rond, récitant les six vers entendus la veille. D’où viennent ces échos, ritournelle dans l’aube ?

La journée passe. Ces mots. Toujours. J’entame une bouteille de vin rouge. Son parfum monte à mes narines. Toujours ces rimes.

Enivré, je me sens bien. Mes membres sont engourdis. La cigarette se consume lentement. Le temps s’écoule doucement. Le verre se remplit et se vide.

Moment de répit.

Je m’allonge sur le lit. Je ferme les yeux. Les vers tournent dans la tête.

Je rêve de ce rôdeur qui semble proche de moi. Je fais le tour de l’appartement. Une odeur de fleur se propage. Au  plafond, des épées. Tremblantes, prêtes à tomber.

Étincelantes, j’y vois des diamants. La menace de ces fleurets branlants. Je longe le mur vers la porte d’entrée.

Un miroir me surprend. J’y découvre un visage étranger.

Les épines, mes rétines,
Griffent ton regard avide
Du sang coule sur tes joues
Fissures marbrées
La peur de ces clous
Entre ces fleurs fanées

Une épée, chut ! Un silence de mort.

La voix dans mes oreilles, d’abord chuchotement puis de plus en plus fort, inlassablement :

Les épines, mes rétines,

Mes bras m’en tombent. Une pluie de lames s’ébat sur moi.

Griffent ton regard avide

Le sang sur les murs.

Du sang coule sur tes joues

A chaque épine, sa brûlure.

Fissures marbrées

Je pleure, je hurle.

La peur de ces clous

Des ombres m’entourent.

Entre ces fleurs fanées

Crépitement de verres brisés

Rythme des phrases. Ma danse macabre. Je me contorsionne de douleur.

Coupures et écorchures sur mon corps. J’entre en transe. Des voisins alertés par le bruit frappent à ma porte. Une lame sur moi. Je ferme les yeux. Plus de voix.

Je me réveille en hurlant. Je lève ma tête, fixe le plafond. Rien. Mon cœur bat à tout rompre. Toujours rien. Je me rendors.

Une odeur de fleur me tire du sommeil. Des lames d’acier pendent au-dessus de moi. Je me cache sous les draps, cocon résistant.

(à suivre…)