Le Shaga, un galimatias qui en dit long…

Le Shaga, un galimatias qui en dit long…

Marguerite Duras est un auteur controversé, encore aujourd’hui. Est-ce parce qu’elle était une femme ? Est-ce parce qu’elle était une femme libre ? Est-ce pour ses prises de positions politiques ? Pour les quelques erreurs de jugement que comme tout un chacun, elle a pu commettre ? Sans doute un mix de tout cela. Il n’en demeure pas moins que son écriture protéiforme a marqué les esprits de son temps et ce n’est pas un hasard si son œuvre, théâtrale notamment, continue à inspirer autant de créateurs. Littérature, journalisme, théâtre, cinéma… autant de médiums que Duras aimait à utiliser, pour dire avec lucidité et profondeur le caractère éphémère de notre passage sur terre, que bientôt il n’en restera plus rien et l’urgence de laisser une trace.

Le langage sous toutes ses formes, écrit ou parlé, la fascinait. Il porte en lui l’essence même de l’homme et de ses relations, sociales et amoureuse. Duras était un personnage assez prétentieux, qui n’hésitait pas à scander son intelligence. Faut-il pour autant sacraliser son travail ? Certainement pas. Elle-même bousculait les codes établis et aurait sans doute apprécié la mise en scène proposée ici par Hervine De Boodt. Il est si facile de passer à côté de l’humour que contient ce texte. 3 comédiens inspirés, frais et un peu barrés, redonnent vie à cette histoire improbable, mâtinée de loufoquerie, où ils peinent à se comprendre. Le Shaga parle donc de langage, de ce qu’il dit, de qu’il ne parvient pas à dire, de ce que l’on croit qu’il veut dire. Il constitue presque un condensé d’enseignement sur la communication et ses concepts de l’expression d’un émetteur, de la compréhension d’un récepteur –nul besoin de souligner qu’il peut y avoir distorsion- et des éléments perturbateurs qui viennent brouiller le signal.

Mais il n’est pas question dans ce texte et dans l’adaptation qu’en fait la production de ce spectacle, de donner une leçon, au sens premier du terme. Le langage en est tout autant la thématique centrale qu’un prétexte à évoquer de manière maline et drôle, des questions plus essentielles encore : celle du souvenir, celle de l’avenir qu’on ne peut construire dans avoir compris le passé, à l’échelle individuelle comme collective. Hervine De Boodt tire le meilleur parti de ce que la pièce dit pour sous-tendre ce qu’elle sous-tend. Pas de scénographie aucune pour un focus permanent sur les dialogues  Un jeu savant d’entrechats, d’entrelacs où un rôle se substitue à l’autre, où l’objet prend parfois la place du sujet et se confondent.

Ce Shaga-là peut sembler plus inintelligible qu’il n’y parait. Il requiert une grande attention sans qu’il soit question d’une intellectualisation outrancière. Un galimatias qui n’en est pas un. Un dialecte qui remonte aux racines de la nature humaine dans ce qu’elle porte de plus vital et profond. Ce n’est pas rien pour un texte qui ne voudrait rien dire…

Le pitch :

Une cour d’asile, deux femmes, un homme, un petit jerrycan troué. A et H veulent saisir, prétendent traduire ce que dit B, le Shaga. Tentatives d’influence, luttes de pouvoir, autolâtries fêlées valsent au rythme d’un présent circulaire, d’un passé qui leur échappe et d’un futur à réinventer.

Le Shaga est une pièce de Marguerite Duras qui joue avec les mots. Le langage devient un objet de dérision, un état d’innocence retrouvée, de gaieté essentielle, un pessimisme qui a le fou rire.

Le Shaga
auteur : Marguerite Duras
Mise en scène : Hervine De Boodt
Avec : Hervine De Boodt, Catherine Giron, Antoine Sastre

Au Festival Off d’Avignon puis de retour dans une salle parisienne à la rentrée

David Fargier – Vents d’Orage