Sophie Sainrapt

Art, Sénat. Deux mots, deux univers pour définir une femme d’exception, à la fois juriste et artiste. Voilà une « belle personne », double et unique en son genre, tout autant femme de lettres que femme de l’être… Comme nous allons le voir.

Pour aborder la carrière de celle qui, née en 1960 à Neuilly-sur-Seine, dans une famille de cadres d’assurances, souscrivit très vite un bon contrat d’études (Bac A littéraire classique, puis maîtrise de droit privé) rien de mieux que de reprendre les propos de Michel Charasse, membre honoraire du Parlement et du Conseil Constitutionnel.

Dans son discours de cérémonie donné à l’occasion de la remise des insignes de Chevalier des Arts et des Lettres à Sophie Sainrapt, le 13 juin 2012, il souligne ce double attrait : « Mais déjà la difficulté de choisir. Elle entame un DEA de droit public sciences politiques et simultanément est reçue au concours d’administrateur adjoint du Sénat où elle entre le 1er juin 1983… » Un an plus tard, elle est titularisée.

Autre date importante :1992, année de sa première exposition, à Paris, galerie Artifice, année de son mariage avec Henri de Maistre, jeune et brillant écrivain et poète.  De leur union naît, deux ans plus tard, une petite Charlotte. Un bonheur alors que Sophie est dans la douleur de la perte de sa mère. Mais le malheur frappe à nouveau: en 1996, brutalement, son époux décède. Le chagrin ravine le cœur de Sophie mais, cette « petite bonne femme » a une force étonnante. Elle fait face, courageusement.

Grimpant tous les échelons au Sénat. M. Charasse rappelle sa carrière : « D’abord affectée au Central des Commissions pendant 9 ans, où elle s’occupe notamment du Bulletin des Commissions, elle est ensuite mutée à la Commission des Finance (…) chargée du calendrier budgétaire (…) l’emploi du temps des sénateurs et ministres, gère les humeurs des uns et des autres et éviter les conflits (…) Hors la Commission, il y a aussi les missions temporaires confiées aux fonctionnaires. Pour Sophie ce sera le groupe de travail sur l’immigration en 1989, la télévision éducative en 1993, les femmes dans la vie publique en 1996, la commission spéciale sur la Corse en 2001, le groupe sur l’attractivité du territoire en 2006… Elle attendra le 1er juillet 2007 pour passer aux Relations Internationales où elle suit ka présence française dans le monde, puis rejoint alors la Direction de la Communication… où elle suit les relations avec les medias… »

Sophie de Maistre, fonctionnaire d’Etat, depuis des décennies « parlemente » avec Sophie Sainrapt, artiste aux multiples facettes.

Ayant déjà, dès l’âge de 14 ans, suivi des cours de dessin, de 1987 à 1992, Sophie apprend ensuite la peinture et la sculpture chez l’artiste tchèque Hashpa et Alain Marie, sans oublier la gravure. Elle appréhende le vrai métier dans le but d’acquérir le « tour de main » : Sophie découvre la tempera, la préparation de la peinture à l’œuf, puis s’essaie à l’acrylique. Son art est caractérisé par une vitesse d’exécution, travaillant sur le motif… le seul en fait étant la liberté…d’expression, de l’émotion. Voilà donc une femme qui assume trois métiers de front : artiste, fonctionnaire, mère. Et, de déménagements d’ateliers en expositions personnelles qui se succèdent depuis les années 90 ou collectives, Sophie Sainrapt développe une énergie rare. Une rage de vivre, de créer qu’elle a choisi de développer à travers une vision toujours renouvelée du corps, comme paysage , territoire de l’humain et de l’humanité. Corps révélé plus qu’exhibé : visage esquissé, organes dominés : seins, sexes féminin et masculin, dans une certaine apesanteur.

L’œuvre interpelle, questionne la sexualité, l’érotisme. L’envie, la vie, l’amour, la mort quelle soit « petite » et fugace ou redoutable et redoutée, implacable: l’éternel couple Eros et Thanatos. Thématique incontournable abordée dans un entretien avec le critique d’art Christian Noorbergen (publié dans le numéro 19/20 de la revue Aréa, intitulée « Féminin Pluriel », automne / hiver 2009) : « L’érotisme est la plus forte résistance à la mort » constate l’artiste. « Cependant, j’étais autrefois dans une veine expressionniste dure et plutôt mortifère. En faisant mes recherches sur le corps que je connais le mieux, celui de la femme, car c’est le mien, j’ai eu envie de représenter un état jubilatoire, rabelaisien même. Même si on sait que le combat est vain… Et c’est par la vie qu’on peut connaître. »

La vie pour cette femme de l’être…passe donc aussi, bien sûr, par « l’autre ». Ses modèles, qui parfois sont aussi ses amies, qui posent pour elle ; ses artistes d’affinité élective, de sensibilité, de complicité artistique. Son métier de fonctionnaire au Sénat va lui donner l’opportunité de créer une alchimie entre art et art de vivre avec les autres.

Après avoir honoré en 1996 les êtres chers lors d’une exposition de monotypes douloureux sur la violence, l’absence, à l’Orangerie du Luxembourg, elle est alors « La femme qui pleure », mère et mari, Sophie multiplie les œuvres et les techniques (acrylique, fusain, mine de plomb, matériaux liquides : eau et huile) mais aussi les rencontres.  M. Charasse décidemment bien au fait de sa carrière déclare qu’ « avec Ileana Cornea et Françoise Monnin (NDLR : critiques d’art, en particulier dans le magazine Artension), elle touche à la céramique et sort peu à peu de la période triste des tragédies familiales comme à l’Orangerie en 1999, à l’Hôtel des Chartreux, à l’art Center de Séoul.

Jusqu’en 2000, Sophie a une double vie (…) jusqu’à ce que le Sénat la rattrape dans ses activités artistiques et lui confie l’opération annuelle Art Sénat dédié à l’art contemporain dans l’Orangerie et les Jardins du Luxembourg. » Une façon de renouer avec la tradition puisque ces Maisons, étaient des « lieux de prédilection de l’art vivant », comme le soulignait Christian Poncelet dans la préface du catalogue de la première exposition en 2000.

Ainsi jusqu’en 2008, Sophie de Maistre est Sophie Sainrapt, le fonctionnaire-artiste devenu commissaire d’expositions. Ce travail dont chaque thématique est révélatrice : « Le Jardin des délices », « L’enfant et les sortilèges », « Art ou Nature », « Animal et territoire », « Invitation au voyage », « L’art et la ville », « Taille Humaine », « Femme, y es-tu ? » et enfin « Du vent dans les branches ». Une forêt d’artistes divers, de sensibilités multiples que les deux Sophie ont su agencer. C’est pour toutes cet œuvre, artistique, juridique, fédératrice que Sophie de Maistre et Sainrapt ont été faites chevalière. Cavalière l’artiste qui met à jour les pulsions, les désirs, le corps dans tous ces états… de grâce et d’amour, à travers dessins, peintures, gravures, imaginaire des animaux, qu’elle qualifie de « Mythos » en 2010. Sans compter une œuvre conséquente de céramiste : assiettes, plats, vases. Sensualité pour tous les sens ! Toute l’œuvre est dans la dynamique, le geste : traits et aplats, taches et empreintes, coulures et zébrures, essuyages ou estompages… Cavalière celle qui, loin de l’impudence et de l’impudeur, chevauche la poésie salée et pimentée de Paul Verlaine et Pierre Louÿs ; l’œuvre sulfureuse de Georges Bataille, Fernando Arrabal ou Renée Vivien ; galope au rythme de ses couleurs de chair et de sève, dans le manège de l’impertinence des fables de La Fontaine. Sophie Sainrapt ferraille avec élégance contre les convenances et l’hypocrisie, contre la culpabilité judéo chrétienne… Et Dieu sait si ainsi elle touche au vif : la fatalité et la mort.

Pour en savoir plus :

www.sophiesainrapt.com

Et découvrir l’œuvre bouillonnante à travers de multiples catalogues et livres édités aux éditions Pasnic, Renard Pâle (ainsi d’un très beau et sensuel livre-objet réalisé en duo avec son compagnon de voyage, le cinéaste Pascal Aubier, « Secrets d’atelier 2 ») aux éditions Aréa dirigées par Alin Avila (en 2009 « Les rires d’Eros » avec Guy Goffette et Pascal Aubier et, en 2012,  « Effeuiller » avec Jean-Didier Vincent) et chez Critères éditions en 2013 avec « Femmes du monde », « Sophia erotica », éditions 11-13 en 2014

Patrick Le Fur

Critique d’art, Journaliste à Artension