Douce – amère
Jean Poiret a marqué de son empreinte la comédie à la française. Sur les planches ou au cinéma, notamment sous la direction de Claude Chabrol, son élégance et son humour pince-sans-rire en firent l’une des plus belles références d’une époque disparue où la classe s’incarnait aussi bien dans le Boulevard que dans le théâtre contemporain le plus pointu. Le raz-de-marée qu’il connut avec Michel Serrault dans La cage aux folles, a marqué la mémoire collective au point d’en faire oublier –ou presque– le reste de sa carrière. Le syndrome du tube imparable qui éclipse tout le reste. On a ainsi perdu de vue son talent d’auteur. Douce-amère en est une belle illustration. D’aucuns critiquent le style un peu précieux ou ampoulé de ce texte.
Poiret fait pourtant montre d’une maestria peu commune. Les mots font mouche, à un rythme si soutenu que notre cerveau peine à analyser chaque coup de griffe, chaque nouvel tentative de « repasser la patate chaude » à son partenaire de jeu. Car au-delà des simples aspects formels, Poiret dépeint avec grande acuité et même une certaine férocité, les névroses de l’être humain. Blasé, jamais satisfait, un rien fat de lui-même, l’homme –ou la femme dans le cas d’espèce– cherche toujours à obtenir ce qu’il n’a pas. L’exotisme quand il devrait apprécier l’épaule solide sur laquelle il sait pouvoir se reposer. La frivolité et l’extra conjugal quand la passion fait peu à peu place à la tendresse puis à l’ennui.
Qui d’autre que Michel Fau se serait-il mieux emparer d’un tel chef d’œuvre de virtuosité ? Dans un décorum 70’s kitch et chatoyant co-signé par son frère -déjà présent sur sa précédente mise en scène, Fleur de cactus-, les comédiens masculins se succèdent au bras de la délicieuse Mélanie Doutey. Michel Fau lui-même dans un premier temps, qui finira par se retirer après une veine et pourtant brillante tentative de rappeler à sa compagne combien ils ont été amoureux. Le talent d’interprète de Michel Fau n’est plus à vanter et son absence sur scène symbolisera magnifiquement les atermoiements de la belle qui cède à ses fantasmes pour se découvrir… seule, malgré les courtisans plein d’entrain, d’espoir ou de jeunesse.
Douce-amère figurera parmi les succès de la saison, l’affaire est entendue. Michel Fau compte parmi les valeurs sures, bien entendu. Mais c’est bien au rythme de mitraillette et à une mise en scène somme toute assez classique mais terriblement efficace, que la faveur du public lui sera accordée. Certains trouveront peut-être la comparaison osée mais il me rappelle Jacqueline Maillant par bien des aspects. Et pour moi, elle était la plus grande…
Le pitch :
Un rendez-vous galant haut en couleurs !!
Élisabeth a aimé pendant huit ans. Aujourd’hui, le couple s’est usé. Sous le regard circonspect du mari délaissé, nombreux sont alors les prétendants qui gravitent autour de cette femme libre, moderne et séduisante. Étourdie par ce manège sentimental, Élisabeth saura-t-elle résister à l’angoisse envahissante d’une inéluctable solitude ?
« Douce-amère offre un portrait de femme insolent et imprévisible : Elisabeth quitte un mari caustique et envoûtant pour être libre, elle séduit et agace trois hommes qui ne sont que trois fantasmes (elle traite même le plus jeune d’homme-objet « …
Ce jeu érotico-mondain deviendra le reflet cruel de sa propre solitude. Poiret avait une passion pour l’opéra et son texte est une véritable partition musicale… Avec une écriture raffinée, il dépeint une société bourgeoise enlisée dans ses contradictions et ses pulsions… Cette lutte charmante et organique se déroulera dans un décor froid et sophistiqué, inspiré par la modernité radicale des années 70 et reflétant l’égarement gracieux des élans amoureux !
Au début du vingtième siècle Paul Claudel écrit Partage de midi où il raconte l’histoire d’une femme qui a besoin de trois hommes autour d’elle : le mari, l’amant de l’âme et l’amant de la chair… L’héroïne de Poiret a besoin d’une quatrième figure masculine : la jeunesse ! Est-ce un hasard si dans L’échange une autre pièce de Claudel, l’héroïne mystique est surnommée Douce-amère ?
Vous allez découvrir ou redécouvrir un auteur à la drôlerie vénéneuse : Monsieur Poiret.
Douce-amère
Auteur : Jean Poiret
Mise en scène : Michel Fau
Avec : Mélanie Doutey, Michel Fau, David Kammenos, Christophe Paou, Rémy Laquittant
Jusqu’au 22 avril 2018, du mardi au samedi à 21H00, matinées le samedi à 16h30 et le dimanche à 15h
Théâtre des Bouffes Parisiens
4 rue Monsigny
75002 Paris
David Fargier – Vents d’Orage