« Mathurin Milan, mis à l’hôpital de Charenton le 31 août 1707 : Sa folie a toujours été de se cacher à sa famille, de mener à la campagne une vie obscure, d’avoir des procès, de prêter à usure et à fonds perdu, de promener son pauvre esprit dans des routes inconnues et de se croire capable des plus grands emplois. »
Le film « La Vie des hommes infâmes », qui sortira le 4 décembre 2024, a été réalisé par Gilles Deroo et Marianne Pistone, un duo de cinéastes déjà reconnu pour leur premier long-métrage « Mouton » (2012). Ce film avait été primé au Festival international du film de Locarno en 2013, et avait remporté plusieurs autres distinctions, dont le Prix de la Critique au Festival international du cinéma d’auteur de Barcelone en 2014 et le Prix Universitaire Culturgest au Festival IndieLisboa de Lisbonne la même année. Forts de 15 nominations dans des festivals internationaux entre 2013 et 2014, Deroo et Pistone reviennent avec un second long-métrage tout aussi audacieux.
Le titre du film fait référence à l’essai du philosophe français Michel Foucault, « La Vie des hommes infâmes » (1977), qui explore les récits de vies anonymes et marginalisées, souvent emprisonnées ou enfermées sous l’Ancien Régime. Foucault s’était appuyé sur des archives judiciaires pour évoquer ces destins oubliés, marqués par l’infamie. De la même manière, le film s’intéresse à ces figures reléguées aux marges de la société, en s’inspirant d’un cas bien particulier : celui de Mathurin Milan.
Le film nous plonge au début du XVIIIe siècle et suit la descente aux enfers de Mathurin Milan, un homme qui sombre dans la misère à cause des jeux d’argent. Pour rembourser ses dettes tout lui est pris : ses meubles, ses vêtements, et entraîne sa famille dans le désespoir. Son épouse, Madeleine, désespérée par la situation, finit par s’en remettre à la justice, demandant l’enfermement de son mari à l’hôpital de Charenton, espérant un changement de comportement. Mathurin, mystérieux et introverti, développe une obsession étrange pour les tulipes. Au début du film, il apparaît comme un père aimant, mais la perte de ses biens et de sa famille révèle progressivement ses névroses.
Le film se distingue par une approche visuelle audacieuse : les dialogues sont rares, remplacés par de longs plans séquences et des travellings qui laissent place à la subjectivité du spectateur. Les réalisateurs adoptent une structure proche du théâtre, avec une narration actancielle, où l’action se révèle souvent par l’image plutôt que par les mots. Certaines scènes clés ne sont pas montrées directement mais présentées à travers de la narration sur fond noir, rappelant les techniques du cinéma muet. Cette absence de dialogue renforce l’atmosphère pesante du film, où la démence de Mathurin semble à la fois palpable et insaisissable.
Le film joue beaucoup sur le silence, les zooms créent une tension presque insupportable par moments, invitant le spectateur à pénétrer l’esprit tourmenté de Mathurin. Les émotions sont capturées à travers les gestes et les regards, et certaines scènes sont si intenses qu’elles poussent presque à détourner le regard. La frontière entre lucidité et démence devient floue, accentuant le malaise et l’isolement du personnage principal.
Il faut souligner le bon jeu des acteurs non-professionnels, notamment celui de Julien Nortier, qui incarne Mathurin avec une belle intensité. Le casting, principalement composé d’acteurs amateurs, contribue à l’authenticité de cette œuvre : Jade Laurencier, Michael Mormentyn, Dany Hermetz, et Thierry Zirnheld livrent tous des performances subtiles et nuancées, ajoutant de la profondeur à cette plongée dans la folie.
La Vie des hommes infâmes est une réflexion sur la manière dont la société traite ses membres les plus fragiles, en particulier lorsqu’ils chutent dans l’oubli ou la folie. À travers le destin de Mathurin Milan, le film interroge les notions de justice, de responsabilité, et d’infamie, tout en offrant une expérience cinématographique unique, où le spectateur est à la fois observateur et témoin des dérives d’un homme confronté à ses propres démons.
Mathilde Rocchietta
Au cinéma le 4 décembre 2024
Durée : 83 minutes