« J’étais sa mère, je devais tout savoir : pourquoi les feuilles sont vertes, parfois rouges, et parfois mortes ? Qu’y a-t-il sous le fond de la piscine ? Et surtout, pourquoi les choses n’ont-elles pas le goût de la couleur qu’elles ont ? Quel goût ça a, l’orange ? »
Du 23 octobre au 15 novembre, le Théâtre de la Reine Blanche accueille dans sa charmante petite salle une épopée poétique. Piquante, intime, mais surtout vulnérable, le monologue porté par la voix et le jeu délicat de Louise Emö aborde l’indicible. Car oui, Jeanne et l’orange et le désordre raconte l’indicible. Un récit qui prend racine dans une situation contre-nature, la perte d’un enfant et l’après.
D’abord, il y a Jeanne, puis Julien, et enfin, pour compléter, Simon. Un coup de téléphone, une équation à trois qui n’est plus que deux, et rapidement, on se retrouve au commencement : Jeanne est de nouveau seule.
La pièce demande : « Qu’est-on quand on n’a plus d’enfant pour être maman ? Qui es-tu ? »
Et Jeanne répond : « Maman. C’était moi. C’était moi avant. »
Brut et poétique à la fois, le texte, originellement écrit par Louise Emö, trouve un équilibre entre le rire et la douleur dénudée, mise à nu, examinée. Dans une pièce qui emprunte, en partie, ses codes au stand-up, sa légèreté et sa complicité permettent d’évoquer le deuil sans le nommer, de l’évoquer en creux, et d’explorer des territoires souvent oubliés et occultés : la fatalité du « soi d’après », de la vie qui continue. C’est portée par l’interprétation pleine de finesse et de vulnérabilité de la comédienne que le cadre de la pièce se fait oublier : on semble simplement écouter une amie qui se délivre, qui se libère.
Loin de s’abandonner au pathos écrasant des événements, ni même au récit focalisé de la dépression, la haine, la séparation ou la douleur, la pièce balaye simplement mais habilement l’amertume d’une vie qui persiste, qui mère-siste, malgré tout.
Car c’est encore là l’en-jeu de la pièce : jouer sur, dans, et avec les mots pour en faire jaillir l’absurde, leur incapacité à signifier, à exprimer, à identifier la douleur. Ce qu’Emö joue et raconte en corps autant qu’en mots, c’est bien que le langage est un acte performatif : en disant, on fait ; mais sans mots pour se dire, on n’est alors rien, on n’est alors pas.
Avec sa sincérité percutante, sa mise en scène simple, efficace et profondément humaine, Jeanne et le orange et le désordre, nous plonge, le temps d’une heure, corps et âme et mots, dans la vulnérabilité humaine, celle d’une maman, d’une « fut-un-temps-maman ».
De quelqu’un qui a été, qui n’est plus, qui ne sait plus ce qu’elle est.
Prenez vite vos billets !
Clara Tomašević
Du 23 octobre 2024 au 15 novembre 2025
La Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis. Passage Ruelle, 75018, Paris
Les mercredi et vendredi à partir de 21h, les dimanche à partir de 18h
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