Prolongée jusqu’au 24 décembre l’exposition du photographe japonais Yasuhiro Ishimoto réunit 169 tirages splendides, en noir et blanc, en grande majorité d’époque, très rares et qui proviennent directement du Japon. On y décèle la capacité d’abstraction de son regard qui traduit, en une image, l’expérience d’une immersion dans le réel. Un réel décontextualisé, non descriptif d’un sujet ou d’un événement, où ce qui se joue dans l’image « est là sans être là » (Rosenberg).
L’image devient un objet autonome où tout se passe dans l’espace du cadre. Chaque photographie d’Ishimoto peut être vue comme un monde en soi. Quand il revient en 1963, après son séjour à Chicago, dans un Japon très marqué par la guerre et la photographie de reportage, son oeil, très construit, considéré comme « froid », dépourvu de sentimentalité, détonne, mais va aussi libérer la photographie japonaise de raconter. Ishimoto orchestre l’aléatoire, l’impondérable du flux de la vie.
Le photographe Minor White qualifiait Ishimoto de « visuellement bilingue », japonais par sa culture et américain par sa formation. C’est un entre-deux singulier à l’époque qui va semer le trouble, finalement il n’est ni vraiment reconnu comme un photographe américain, ni comme un photographe japonais. Jusqu’à ce qu’il opte pour la nationalité japonaise en 1969, à l’âge de 48 ans, Chicago est, pour lui, toujours «Hometown ». Il est donc en décalage par rapport à la scène photographique japonaise, mais ce décalage sera très productif. C’est parce qu’il est dans cet entre-deux, que son regard décalé va bouleverser la photographie japonaise.
On pense pour conclure à ces mots de Siskind : « Au fur et à mesure que le langage de l’expression photographique s’est développé, l’accent sur la signification d’une photographie a glissé – glissé de quoi ressemble le monde à comment nous voyons le monde et ce que nous voulons dire du monde ». Ishimoto veut dire quelque chose du monde en utilisant la matière du monde, tout en le rendant fort abstrait.
Christian Duteil
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