Après l’acier, le béton est le matériau le plus utilisé par l’homme. Cette réalité, à la fois terrifiante et surprenante, se révèle pourtant instantanément dans notre environnement quotidien. Il suffit, après tout, de jeter un œil autour de nous, peu importe où l’on se trouve, pour constater la domination du béton : immeubles, bâtiments publics, fontaines, murs, parkings, métros… Une « pas-si-petite-liste » qui nous pousse à une réflexion essentielle : quel impact ce matériau a-t-il sur notre monde, et sur notre manière de le concevoir ?
Empruntant son titre aux sculptures de béton de Malevich, Architecton, en salle dès le 27 novembre 2024 et réalisé par Victor Kossakovsky, interroge ainsi le futur d’un monde qui semble ne jamais cesser de se bétonner, se rigidifiant à vue d’œil.
Était-ce donc cela, l’avenir du vivre-ensemble humain : le gris, le froid, l’impersonnel ? La question se pose alors : dans ce paysage de béton, où est l’humanité, où va la vie ?
Une poésie visuelle du paysage
Parvenir à faire parler la pierre, en voilà donc un défi complexe et pourtant amplement relevé par Kossakovsky. Plans larges, visions surplombantes de carrières s’étendant à perte de vue ; les ralentis dramatiques transforment un simple éboulement de roches en un moment empreint de gravité, porté par un pathos visuel indescriptible. Le tout est intensifié par des silences profonds ou des sonorités distordues et cadencées, si bien qu’une dimension quasi surnaturelle abonde.
Oscillant entre contemplation, documentaire et véritable film d’action, Kossakovsky atteint un équilibre ingénieux, insufflant une âme à ce matériau pourtant, intrinsèquement, inerte et froid. Le béton, cette incarnation même de la rigueur et de la permanence, se métamorphose ici sous l’objectif de la caméra qui propose une lecture étonnement poétique et inattendue d’un univers a priori immuable.
Réfléchir au monde de demain, béton ou pas béton ?
S’il ne fait aucun doute que le béton occupe le rôle central, peut-être même celui d’antagoniste, de ce documentaire, des segments consacrés au projet du « Cercle de pierre parfaite » de l’architecte italien Michele De Lucchi viennent ponctuer la narration, et dynamiser l’ensemble en y superposant une réflexion philosophique. Ce simple cercle de pierres, conçu comme un espace où aucun être humain ne peut mettre les pieds, se veut une zone vierge de toute intervention humaine, offrant un contrepoint fascinant à l’omniprésence du béton, qui envahit nettement l’espace du film.
En faisant subtilement dialoguer ces deux dimensions – la monumentalité du béton et la pureté d’un espace préservé – Kossakovsky tente de montrer que bien qu’efficace sur le plan économique et pratique, le béton s’impose comme une solution de facilité, une réponse immédiate aux besoins de construction rapide, d’une société rapide, mais qui laisse une impression de vide et d’incapacité à atteindre la permanence.
En filigrane, une question pour le spectateur : faut-il continuer à se replier sur le béton comme solution de facilité ou devons nous plutôt remettre en question cette uniformité et chercher des matériaux plus respectueux de l’humanité ? Tout cela relève un enjeu de taille : créer des structures qui perdurent non seulement dans le temps, mais aussi dans l’imaginaire collectif.
Clara Tomašević
Dans les salles à partir du novembre 2024