Plus d’un siècle après la rencontre du peintre et de son marchand Paul Guillaume en 1914, le musée de l’Orangerie explore la manière dont les liens entre les deux hommes éclairent la carrière de l’artiste et sa renommée posthume. Une cinquantaine de tableaux et sculptures de Modigliani présentés dans l’exposition ont un lien avec Paul Guillaume, qu’il en ait été le détenteur, le vendeur ou le critique.
Âgé de 21 ans, l’artiste italien arrive dans la capitale française en 1906 : il peint et sculpte dans le contexte effervescent de l’École de Paris, où se rencontrent des personnalités artistiques étrangères venues s’installer dans la capitale considérée comme le creuset des avant-gardes au début du XXème siècle.
Il aurait rencontré Paul Guillaume par l’entremise du poète, romancier et peintre Max Jacob, par ailleurs représenté dans un formidable Portrait peint en 1916. Devenu ainsi l’un des premiers soutiens de Modigliani, Paul Guillaume loue pour lui un atelier rue Ravignan à Paris, atelier resté célèbre par des clichés immortalisant les deux hommes. Modigliani peint alors des portraits de son marchand : sorti du Museo del Novecento à Milan, le Portrait de Paul Guillaume, peinture à huile de 1916, est visible dès la première salle de l’exposition. Modigliani y inscrit en lettres capitales « NOVO PILOTA », faisant ainsi l’éloge de son mentor de l’avant-garde.
Le peintre et le marchand partagent un goût commun pour les arts extra-occidentaux, leur intérêt pour l’art africain est manifeste. Paul Guillaume, issu d’un milieu modeste, trouve d’abord une place de commis dans un garage automobile de l’avenue de la Grande-Armée. C’est ici qu’il rencontre Guillaume Apollinaire et le marchand d’art africain, Joseph Brummer. Cette dernière rencontre est décisive. La place de l’art africain est un élément déclencheur dans la carrière de Guillaume. Il est l’un des premiers marchands à développer le commerce des œuvres africaines. Modigliani, quant à lui, fréquente le Musée d’Ethnographie du Trocadéro, découvre les masques africains et leur forme allongée. L’influence des arts d’Afrique sur sa production est évidente.
Au musée de l’Orangerie, Masques et Têtes se côtoient : Tête de femme de Modigliani (1911-1913), Masque anthropomorphe Ngon Ntang d’un artiste kfang du Gabon (XIXème siècle). On remarque que la forme de la sculpture de l’artiste italien est de style « allongé », et préfigure ses peintures ultérieures, notamment ses têtes de femmes.
Fréquentant les cercles artistiques parisiens bouillonnants, Modigliani s’entoure des personnalités de son temps : Constantin Brancusi, Chaïm Soutine, Moise Kisling, Jean Cocteau, Diego Rivera, Pablo Picasso, Beatrice Hastings etc. Toutes ces figures peuplent les toiles de l’artiste au côté d’autres visages anonymes. Le Portrait de Moise Kisling, peint en 1915, appartient à Guillaume qui le garde dans son appartement de l’avenue Foch, entre un Picasso cubiste et Novo Pilota.
Parmi les visages peints par Modigliani, on contemple ses magnifiques têtes de femmes, sans pupilles, les yeux en amande et dépourvus de symétrie. Le motif mélancolique de la tête penchée caractérise le style de Modigliani. Parmi ces portraits, on retrouve La Belle irlandaise, en gilet et au camée (vers 1917-1918), ou encore Elvire assise, accoudée à une table (1919).
Durant les derniers mois de la première Guerre Mondiale, l’état de Modigliani, réformé pour raison de santé, se dégrade. Léopold Zborowski, son autre grand marchand, l’envoie sur la Côte d’Azur en avril 1918, suivi de sa compagne et modèle Jeanne Hébuterne, enceinte de leur premier enfant. De cette période « méridionale » naissent certaines de ses plus belles œuvres : portraits d’enfants, de domestiques ou d’anonymes locaux. L’héritage de Cézanne est visible, notamment dans La jeune fille brune assise (1918), que Paul Guillaume gardera sur les murs de sa demeure avenue de Messine avant que la toile ne rejoigne la collection privée de Pablo Picasso.
En 1920, Modigliani meurt d’une méningite tuberculeuse à Paris, sa compagne Jeanne Hébuterne se suicide deux jours plus tard.
C’est un portrait en creux de Paul Guillaume qui se dessine à travers cette exposition qui retrace la « fabrication d’un maître », dans le contexte artistique parisien du début du siècle. Si Amedeo Modigliani côtoie et se nourrit de plusieurs sensibilités de l’avant-garde, il agit surtout comme un compagnon lointain, conservant une personnalité indépendante, laissant son style reconnaissable entre tous.
Perrine Decker
Du 20 septembre 2023 au 15 janvier 2024
Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Ouvert tous les jours de 9h à 18h, jusqu’à 21h le vendredi – Fermé le mardi
Réservations : https://billetterie.musee-orangerie.fr/fr-FR/produits-orangerie?famille=2019043555100408364