« Je suis venue pour la surface et j’ai trouvé la profondeur », c’est sur ces mots que débute la rencontre avec Claire Mouraby, artiste plasticienne.
Pour cette métropolitaine, l’aventure polynésienne commence en août 2018 avec en toile de fond ce télescopage familier aux expatriés à leur parachutage sur Tahiti, à savoir la charge de l’attente du mythe qui se confronte à une réalité pas exactement conforme. On rajoute dans les cartons à peine ouverts l’impossibilité de pouvoir verbaliser des questionnements existentiels sachant que pour ceux restés à l’autre bout de votre nouveau monde vos états d’âmes ne seront pas recevables.
Soyons honnêtes, la vahiné fleurie se déhanchant en bordure de lagon au son du ukulélé, on la cherche encore sur la plage. Elle envahit par contre sur papier glacé les kiosques à touristes. La sensuelle insouciance baignée de soleil qui l’accompagne se prend une douche tiède au premier grain tropical qui vous rince au milieu des embouteillages de Papeete aux heures de pointe.
Bienvenue dans la réalité car bien au-delà de la splendeur de l’île, ici, au paradis, c’est aussi la vraie vie si durement décrite dans « O Tahiti ou la nef des fous » de Philippe Draperi. Il asserte : « Le Tahiti du XX ème siècle c’est toujours une aventure, celle de la Terra Incognita de notre psychisme ».
Cela est toujours d’actualité et cela tombe bien car tout ce qui a trait à l’intériorité est le terrain de jeu de Claire. Là où certains sont dans l’incapacité à s’adapter, Claire Mouraby plonge avec volupté dans la recherche… de la recherche. Elle jongle depuis toujours avec le dedans et le dehors, le terrestre et le divin, le plein et le vide.
Elle a très vite ressenti l’incroyable énergie de la terre, humé et recueilli en alchimiste les essences locales pour apprivoiser leurs couleurs, laissé vagabonder ses 5 sens pour s’imprégner par capillarité de ce si généreux environnement.
Quand on aime et respecte la terre en Polynésie elle vous le rend bien. La beauté du lieu n’est rien à côté de la puissance qu’il dégage.
Certains restent enfermés à la surface dans une errance circulaire quand d’autres s’épanouissent verticalement dans l’harmonie de ce qui les entoure. Notre artiste est de ceux là.
Tombée dans le textile depuis l’enfance, elle coud, raccommode, teinte et surtout répare.
Le tissu comme métaphore du corps car le mot « peau » est omniprésent dans la conversation. Elle rajoute que « ce medium rassurant, résiste très bien à la destructivité ».
La violence du mot prononcé avec douceur nimbe de secrets l’atmosphère de l’atelier.
L’oxymore est la marque de fabrique des volumes qui y sont façonnés dans un long processus de soie, de coton et de laine.
La déesse de la lune HINA est sa première née sur le Fenua.
Dans le panthéon polynésien, cette déesse symbolise l’affirmation de soi, de « la femme qui se libère et qui marque à jamais sa peau pour conquérir sa liberté ». Première femme tatouée, HINA incarne l’essence de l’énergie féminine et plus encore. Celle de Claire, remplie de fibres de bananier, se nomme « sombre et ombrageuse ». Demandez-lui pourquoi.
Artiste discrète en adepte du point invisible, elle n’en est pas moins la très active directrice de la bibliothèque de l’Université de la Polynésie française. Elle ne vous dira pas qu’elle est bardée de diplômes et que son dernier cursus porte sur « la psychologie clinique d’inspiration psychanalytique ». Claire Mouraby s’interroge sur la philosophie de l’art en précisant que « l’idée n’est pas de psychanalyser les artistes mais d’élucider les processus inconscients qui sont à l’œuvre dans le créateur ».
Ne cherchez pas, non plus, ses précédentes expositions. Elle était bien trop occupée à créer. Par contre retenez son nom, elle arrive.
Il est des joies immenses comme celle d’avoir mis en lumière l’éclosion d’une artiste.
Texte et photos : Valmigot