Nous et les autres, des préjugés au racisme
Ouverte le 31 mars dernier, cette exposition n’a pas encore fait les gros titres des journaux et c’est regrettable. Alors que les mots de notre devise nationale « liberté, égalité, fraternité » sont largement utilisés à toutes les sauces, il est temps de faire une halte au Musée de l’Homme qui porte si bien son nom.
Nous et les autres, des préjugés au racisme :
Comment se construisent les préjugés ? Quelle est la réalité des « races » d’un point de vue génétique ? Quels arguments opposer aux tenants d’une division de l’humanité en « races » ? Pourquoi des États en sont-ils venus à mettre en place un racisme institutionnalisé contre des catégories données d’individus ? Autant de questions auxquelles entend répondre la première grande exposition temporaire du Musée de l’Homme depuis sa réouverture, « NOUS ET LES AUTRES – Des préjugés au racisme », qui plonge aux racines de ce phénomène de société.
Nous et les autres, des préjugés au racisme :
La visite se déroule en trois temps : les temps du ressenti, de la connaissance et de la réflexion. Chaque partie est précédée d’un sas de transition. La construction du parcours permet au visiteur de s’approprier le propos par étapes : du prologue (ce qui nous gouverne individuellement) à l’épilogue (ce à quoi nous pouvons remédier par des actions personnelles, collectives, institutionnelles).
Partie 1 : « MOI ET LES AUTRES » – La première partie est une expérience au présent. Dans une scénographie articulée autour de deux espaces : le cylindre des catégories et la zone d’attente d’un aéroport avec des portiques, le visiteur explore ses propres idées reçues sur les stéréotypes et les préjugés à l’égard des autres.
Partie 2 : « RACE ET HISTOIRE » – La deuxième partie de l’exposition explore la construction scientifique de la notion de « race » et illustre, à partir d’exemples historiques, la mise en œuvre de racismes institutionnalisés par des États.
Partie 3 : « ÉTAT DES LIEUX » – La dernière partie aborde le racisme aujourd’hui. La transition entre l’histoire et la situation actuelle s’effectue par la « salle aux questions ». Autant d’interrogations auxquelles cherchent à répondre les dernières séquences de l’exposition en s’appuyant sur les recherches des sciences du vivant et des sciences sociales, tout en donnant la parole à des spécialistes.
Nous et les autres, des préjugés au racisme :
Dès l’entrée de l’exposition, on entre dans un univers proche de notre quotidien – la scénographie mise en place nous met tout de suite en situation, parfois acteur, parfois voyeur, parfois témoin.
Un dispositif immersif : le cylindre des catégories Au cœur d’un espace cylindrique sur les murs duquel sont projetées, à l’échelle 1, les images de vingt personnes, le visiteur plonge dans une diversité de visages, de silhouettes de femmes et d’hommes qu’il rencontre au quotidien dans la rue, dans les transports… Ces vingt personnages sont successivement catégorisés en fonction de trois critères de différenciation : physique (sexe, couleur de peau) – social (revenus, style vestimentaire) – religieux (croyance, pratique). L’objectif est de montrer que, pour ordonner le monde aux multiples visages dans lequel nous évoluons, nous avons tendance à classer les êtres humains dans des catégories.
Comment se définit-on ? Comment les autres nous voient ? Au sortir du cylindre, le visiteur accède à un espace impersonnel, une salle d’attente d’aéroport dont il ne pourra sortir qu’en passant sous des portiques. Dans ce lieu anonyme où l’on se croise sans se connaître, des banquettes accueillent le public pour lui proposer, sur tablettes, des jeux multimédia adaptés de tests courants en psychologie sociale. Ainsi le visiteur prend conscience des mécanismes par lesquels chacun se définit au niveau individuel et collectif. Nous nous identifions souvent à notre groupe d’appartenance – que nous favorisons – et nous cherchons à nous différencier des autres. Cet « ethnocentrisme » s’accompagne d’une propension à voir l’autre groupe comme un « tout », occultant la diversité des êtres qui le composent. Stéréotypes et préjugés prospèrent sur ce terreau. Ils peuvent conduire à traiter de manière hiérarchique et inégalitaire les individus ou groupes désignés comme différents de soi. Pourtant, qu’elles soient individuelles, sociales ou culturelles, nos identités ne sont ni figées ni immuables : elles sont multiples, se réinventent et évoluent en permanence
Nous et les autres, des préjugés au racisme :
La rotonde déroule le fil de l’histoire des idées du 17e au 19e siècle Sur les parois d’un espace cylindrique, se font face, dans l’ordre chronologique, le contexte historique des conquêtes coloniales et la construction scientifique de la notion de « race ». Les dates clefs et les éléments portés à la connaissance des visiteurs sont appuyés par des documents iconographiques et par des objets. Trois bornes multimédia présentent, sous forme d’images et de récits, le contexte historique de l’esclavagisme et du colonialisme et la démarche scientifique. Des esclaves aux indigènes : quand le droit entérine la suprématie des européens Partis à la conquête du monde à la fin du 15e siècle, les Européens, entrant en contact avec des peuples « autres » par leur couleur de peau et leurs pratiques culturelles, vont justifier leur domination par la prétendue supériorité de la « race » blanche et édicter des règles pour asseoir leur suprématie. C’est donc pour des raisons économiques et politiques que la distinction de couleur puis le racisme se développent peu à peu, dans le contexte de l’esclavagisme. Au 19e siècle, le colonialisme s’accompagne d’une racialisation des identités et se traduit par une privation des droits civiques. Le régime de l’indigénat est appliqué dans l’ensemble des colonies. Aux citoyens français qui bénéficient des droits civiques et politiques, s’opposent des « sujets » désignés sous le terme « indigènes » et soumis à une législation discriminante : absence de droits politiques, restriction des déplacements, travail forcé. À partir de la seconde moitié du 19e siècle, la science utilise la notion de « race » pour classer la diversité humaine. Dans ce contexte, classification devient synonyme de hiérarchie raciale. Forgée par les élites, des représentations inégalitaires des populations colonisées circulent et structurent dès lors les imaginaires.
Le visiteur pénètre dans un espace évoquant un laboratoire Des lamelles suspendues au plafond, composées de bandes de tissu de couleur, reproduisent notre séquence ADN. Au-delà de ce rideau, trois écrans proposent de courts films d’animation faisant le point sur les données scientifiques actuelles. • La génétique permet-elle de classer les humains ? • Une grande famille de mutants ! • Ce que l’ADN dit de nous… La notion de « race » n’est pas valide scientifiquement Nous appartenons tous à la même espèce Homo sapiens, biologiquement homogène car, en 200 000 ans, elle n’a pas eu le temps de produire des différences majeures entre groupes d’individus. Deux individus sont à 99,9 % identiques par leur génome. Entre deux Européens d’un même village, il y a quasiment autant de différences génétiques qu’entre un Européen et un Africain, ou un Africain et un Asiatique. Mais nous sommes visiblement bien différents les uns des autres. Ces différences sont le résultat de notre histoire passée, des migrations de nos ancêtres, de notre environnement, de notre culture et du mélange génétique entre nos deux parents. Quant aux différences de couleur de peau, elles relèvent de variations génétiques qui ne concernent qu’une part infime de notre génome ; elles sont le fruit de l’adaptation de nos ancêtres à des conditions climatiques.
Nous et les autres, des préjugés au racisme
Une exposition obligatoire, incontournable, pour tous, petits et grands,
Une exposition qui donne des clés et ne donne pas de leçon de morale
Une exposition richement documentée avec une programmation culturelle et artistique afin d’apporter un appui pédagogique précieux aux visiteurs qui le souhaiteraient.
Jusqu’au 8 janvier 2018
Musée de l’Homme
17 place du Trocadéro
75016 Paris
Tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h
photos in situ : Véronique Grange-Spahis