Ce matin pluvieux de janvier, je rencontre l’artiste et plasticien Baptiste Penin, près de son atelier parisien. J’ai découvert ses coutures sur papier il y a quelques mois, en me promenant dans la galerie de Fanny et Olivia, Wilo & Grove. La précision du geste, les fils de couleurs superposés les uns sur les autres, le choix de la cartographie et des aires géographique m’ont interpellé.
Très marqué par les œuvres du Land Art, la Spiral Jetty de Robert Smithson ou les Line made by walking de Richard Long, Baptiste reproduit ces expériences sur le terrain avec un ami lors de ses randonnées dans la Vienne. Sur le bord des sentiers, ils empilent des cailloux pour former des cairns, détournent légèrement le chemin pour donner une autre forme à l’itinéraire.
Le territoire est un sujet qui l’intéresse et c’est son goût pour la géographie et la rencontre qui le pousse à partir faire le tour de l’Europe à l’âge de 18 ans. A bord d’un camion, seul et sans argent il voyage de pays en pays, traverse les frontières vers l’inconnu. A la recherche du lien social, il choisit de mener « une vie de hippie » où la communauté est essentielle. Ces quelques années sur la route sont l’occasion de recherches et d’évolution dans son cheminement artistique. Marqué depuis toujours par Van Gogh et son Champs de blé aux corbeaux, il se rend aux Pays-Bas pour le voir de ses propres yeux au Van Gogh museum d’Amsterdam.
De retour en France, il passe le concours des Beaux-Arts, dont il a entendu parler par une amie. Il est admis à Toulouse, et passe cinq ans sur les quais de la Daurade, au bord de la Garonne.
Proche du théâtre et de la musique dans son enfance, il dit ne pas avoir été familier des arts graphiques jusqu’à cette période. Cependant il nous explique que son père était dessinateur en bâtiment, à l’époque où les plans d’architectes n’étaient pas encore faits par les ordinateurs.
C’est donc dans la ville rose qu’il se forme et développe ses recherches artistiques. Il réutilise les cartes de ses voyages comme inspiration et support technique : il les recouvre de peinture ou bien redessine le plan des villes. Cartographie, ville, land art, voyages, tout est lié. Il y a trois ans, il commence la couture sur papier et réalise parmi d’autres des plans de Lyon, Toulouse et Grenoble, la ville où il est né.
Son travail s’oriente par la suite dans la représentation des îles, qui lui permet de développer un autre thème qui lui est cher : l’isolement. Ayant vécu quelques années sur l’île d’Oléron, il dit avoir expérimenté en hiver ce sentiment de solitude très fort propre au territoire insulaire. Travailler le fil lui permet de retrouver du lien entre ces terres reculées.
« Le fil à coudre est venu de la relation avec mes galeristes » affirme-t-il. Cette technique a été pensée pour la première fois à la suite d’une expérience vécue au bord de la mer rouge. Il décide de représenter la falaise qui borde la mer, celle-ci étant marquée par des sortes de traces, de traits droits les uns au-dessus des autres. Il se rappelle soudain l’œuvre d’une brodeuse qu’il avait vu exposée dans une galerie lors d’un passage dans le sud de la France. Après plusieurs tentatives, il choisit le fil à coudre, et réalise que cette technique reproduit exactement la sensation qu’il veut transmettre. La droiture, la constance du fil, et la possibilité d’un enchevêtrement de couches donnent un résultat visuel puissant. Il le soumet à ses galeristes, Fanny et Olivia, qui accrochent tout de suite et l’encouragent à poursuivre cette voie.
La couture rassemble plusieurs préoccupations et points clefs de la vie de Baptiste. C’est avec sa mère qu’il apprend à coudre quand il est jeune, une activité qui sera souvent mise en pratique lors de son voyage en solitaire au cœur de l’Europe. Cette activité, souvent associée au féminin et rangée dans le cadre du foyer, participe lors de son voyage à cette vie aventureuse, de débrouille et d’autogestion.
Le fil à coudre c’est aussi une manière de répondre à l’isolement, un thème qui le préoccupe beaucoup, et qui est présent dans la figure de l’île. Son discours traduit une inquiétude envers les technologies et les réseaux sociaux, qui dans leur volonté de faciliter les communications, sont la source d’un délitement social. « Ce système de globalisation donne naissance à un grand groupe humain ; cela nous fédère mais ne nous rapproche pas », et c’est une problématique sociale auquel il veut répondre. En effet il donne une importance première aux vraies relations humaines, à ces face à face où l’on ressent beaucoup plus de choses : un timbre de voix, un regard, une gestualité propre qui enrichissent la relation. Le fil qui permet de donner une forme graphique à ses îles et de dessiner leurs frontières apparait comme le lien qui nous unis, qui solidarise ces territoires.
Travailler sur le territoire c’est ainsi explorer les frontières et métaphoriquement dans la question de la limite, plonger dans un terrain personnel, parfois glissant, intime, douloureux. Son travail, ses recherches naissent « d’un besoin de créer quelque chose d’intime et de le partager avec les autres ».
L’art permet de répondre à la vie et ses questions existentielles, qui sont lourdes à porter car elles donnent lieu à des absences de réponse, ou des réponses à construire soi-même.
Son œuvre est donc très personnelle, mais possède une dimension miroir, cette force de se rendre universelle et de pouvoir résonner en chacun de nous. Baptiste m’explique par une métaphore cette énergie qu’il souhaite transmettre à l’autre « Je fais un jour une couture de quatre îles, qui représentent quelque chose de particulier pour moi. Je décide de les répartir inégalement dans l’espace. Un jour une femme passe devant et regarde ces îles, qui lui font penser à elle et ses trois sœurs. Elle remarque que l’une d’entre elle est particulièrement loin des autres. Elle réalise soudain que sa petite sœur n’a pas donné de nouvelles depuis longtemps, et décide de l’appeler aussitôt. » A travers cette histoire Baptiste nous transmet sa vision de l’œuvre, un objet doté d’une énergie qui se transmet et permet de développer du lien social.
Pour parler de l’art on terminera sur cette phrase dite au début de notre rencontre « Il y a l’objet, l’image, et autour il y a quelque chose qui vibre ». Ainsi est l’art, relation, expérience et spiritualité.
Violette Engrand
Baptiste Penin chez Wilo & Grove : https://wilo-grove.com/talents/baptiste-penin/ (vous pouvez lui passer commande d’une île en particulier).