Deux « gastros » de haut vol à Bourges
Partie 1 : Le Beauvoir, maîtrise et raffinement
Tout a commencé un soir, après une journée où le soleil écrasant de cette fin juillet caniculaire semblait avoir ralenti à l’extrême toute activité dans la région parisienne :
– Allo, Didier ? Tu passes toujours nous voir à Bourges ? Tu pourrais me trouver un resto dans la région, j’ai promis à Manu (tu sais, la végétarienne…) de l’emmener dans un étoilé.
Bon. Ça tombe bien, j’avais prévu de longue date d’inviter cette amie sur une bonne table de la région, ce sera l’occasion. Je me mets donc au travail, consulte le célèbre guide rouge, le jaune et leurs principaux concurrents, parcours consciencieusement quelques centaines d’avis sur les sites spécialisés et sélectionne au final une dizaine d’adresses dans un rayon d’une centaine de kilomètres, Bourges ne comportant qu’un seul restaurant étoilé dans ses murs. J’y ajoute deux autres grandes maisons de la ville, non étoilées mais qui, de l’avis général, mériteraient de l’être, et j’envoie ma liste. Finalement, chaleur et facilité aidant, mes amis choisissent Le Beauvoir et je les inviterai en retour au Cercle, deux établissements de Bourges intra-muros.
À proximité de la Voiselle et des marais de Bourges, Le Beauvoir se situe au nord de la ville. Des zones de stationnement sont disponibles au bout de la rue Gilbert Bailly, à une centaine de mètres. Didier Guyot, le chef et propriétaire, l’a ouvert avec sa femme Laurence au début des années 1990 et en a fait la référence gastronomique pour de nombreux habitants de la cité de Jacques Cœur. Il est classé premier sur le site de TripAdvisor qui, même si la méthode est sujette à caution, devient néanmoins très fiable quand on cumule quelque 600 avis avec 90% de « très bon » ou « excellent ». S’y ajoutent un commentaire élogieux et un « Bib gourmand» chez Michelin, deux toques chez Gault & Millaut, et des recommandations sans réserve chez Pudlowski et le Petit Futé !
L’accueil est aimable et chaleureux. Nous traversons la salle, climatisée et au décor simple et élégant, pour nous installer en terrasse sous la pergola.
La carte comporte quatre menus dont le premier, à 17,50 € et baptisé Au gré du marché, est une véritable bonne affaire compte tenu du standing de l’établissement. Il est proposé du lundi au vendredi à tous les services, y compris le soir, donc, (ce qui usuellement demeure trop rare dans les restaurants), et donne le choix entre deux entrées, deux plats et deux desserts, avec en outre une option, moyennant supplément, pour la grande spécialité de la maison, le soufflé au chocolat !
L’établissement propose trois autres menus, le Tradition (29,50 €), le Saveurs Gourmandes (37,50 €) et le Plaisir Gourmet (45,50 €), tandis qu’à la carte, les entrées sont uniformément à 20 €, les plats à 30 € et les desserts à 10 €. Quelques incohérences apparaissent cependant, avec notamment l’absence à la carte de plusieurs plats du Plaisir Gourmet, comme le foie gras poêlé, le tartare de langoustine avec son espuma au Campari, ou la remarquable selle d’agneau à la coriandre, menthe, et crumble d’ail. Bien entendu, on peut toujours s’arranger au moment de la commande, d’autant que le personnel fait montre de sourire, amabilité et compétence, mais l’absence à la carte de plats de ce calibre reste étonnante.
La carte des vins propose un choix étendu (notamment en vins de Loire, mais pas seulement) à des prix contenus, mais avec assez peu de millésimes anciens. À noter une bonne offre en demi-bouteilles, très utile quand se combinent une forte hétérogénéité des choix des convives et sauvegarde de son permis…
De l’audace, oui, mais avec tempérance et maîtrise
Après de délicieux amuse-bouches, Didier Guyot nous régale d’accords inattendus et de saveurs étonnantes, magnifiés par un choix de produits très sûr et une technique sans faille, mais sur un fond classique. Ainsi nous découvrons un surprenant gaspacho de tomates aux tombées de mimolette avec sorbet de cornichons, un remarquable haddock à la crème de maïs et pop-corn, ou encore un foie gras poêlé à la cuisson millimétrée. De l’audace, oui, mais avec tempérance et maîtrise. Et on en redemande, avec un croustillant de lapin au caviar d’aubergine et huile d’estragon, un lieu jaune laqué à l’huile de persil et pesto, ou un excellent ris de veau laqué au coulis de morilles… Pour notre amie végétarienne, pour les amuse-bouches, en remplacement de celui à base de poisson, elle s’est régalée avec une mousse de carotte au gingembre absolument divine et un steak végétal a remplacé le lapin. Ceux qui chérissent le cochon trouveront ici le très réputé Kintoa, ce porc Pie Noir de la vallée des Aldules, au pays basque, qui faillit disparaître en 1988 et bénéficie enfin depuis deux ans d’une AOC. On le trouve en entrée sous forme de carpaccio, avec asperges vertes et copeaux de foie gras, huile de noisettes et tuile de pain, ainsi qu’en côte de porc en plat principal.
Quant aux desserts, ce n’est pas pour rien que le chef a fait ses classes chez Gaston Lenôtre, le créateur du pâtissier et traiteur parisien bien connu. Ce dernier n’aurait assurément pas renié le merveilleux soufflé au chocolat Guanaja, la spécialité de la maison : aérien, fondant en bouche, dénué de toute amertume ou d’excès de sucre (deux défauts si fréquents sur ce genre de plat…), ce dessert est, disons-le, une vraie tuerie ! Venir au Beauvoir et ne pas le prendre est un crime mais, pour ceux qui n’aimeraient pas le chocolat (si, si, cela existe…), il y a aussi un somptueux millefeuille aux gariguettes ou le sablé aux fruits rouges, crémeux ivoire, marmelade de rhubarbe…
Si Le Beauvoir n’a pas d’étoile, ce n’est certes pas à cause de sa cuisine.
Le décor, alors ? Sans doute, car il est vrai que s’il est simple et élégant, nous sommes loin du raffinement du Cercle, l’étoilé de Bourges, et que les inspecteurs du Guide Rouge y sont devenus très sensibles. Reste qu’on passe dans ce restaurant un merveilleux moment, et à un tarif qui laisse songeur quand on se souvient de ce que l’on paye pour un repas très ordinaire dans une brasserie moyenne de la Capitale… D’ailleurs les berruyers ne s’y trompent pas et assurent un succès constant à cet établissement.
Didier Ranglaret & Barbara Ates Villaudy