Caravage à Rome

Caravage à Rome
Amis et ennemis

Flash !

À chaque nouvelle rencontre avec un Caravage, toujours cette impression fugace, ce même sentiment fautif d’avoir surpris une scène qui aurait du rester dans l’ombre, d’être entré par effraction, d’avoir braqué une lampe torche ou un spot et révélé dans une lumière crue  … l’indicible.

Et toujours –  et aussi – cette impression d’être face à un instantané.

Judith tranche – là, maintenant – la tête d’Holopherne. David brandit la tête sanglante de Goliath. Le crime, la vengeance viennent d’être accomplis. L’exécution vient d’avoir lieu.

Les protagonistes soudain éclairés, à jamais prisonniers  de la lumière de Caravage se tournent vers nous. Ils viennent de passer à la postérité. L’instantané s’est mué en éternité. On ne pourra plus les oublier.

Pas plus qu’on ne pourra oublier la Madeleine en extase pâmée,  extatique ; éclair violent, diagonale de feu traversant l’ombre qui noie tout ce qui n’est pas le sujet. Cette ombre vide de toute anecdote, de tout ce qui marginaliserait le regard. Cette ombre qui n’est pas celle encore habitée de Rembrandt. Cette ombre qui n’appartient qu’au maître de Caravagio qui en use comme le ferait un metteur en scène.

Un metteur en scène, un cadreur qui saisirait des temps forts, pas toujours tragiques, de l’Ancien et du Nouveau Testament comme autant de faits divers que son génie élève au niveau le plus élevé de la transcendance.

Un génie qui nous parle de la violence de son époque et de sa propre violence qui le conduira en prison et au bannissement. Une  œuvre qui nous dit aussi notre violence moderne en nous invitant à méditer sur la violence des temps anciens et que la douceur relative du Souper à Emmaüs ou des Joueurs de Luth ne parvient pas à faire oublier.

Mais aucun des Caravage que montre le musée Jacquemart André n’est oubliable. Les œuvres choisies n’appartiennent pas toutes au registre du tragique. Cependant toutes renvoient à celles tout aussi inoubliables de Saint-Louis-des-Français à Rome ou aux autres tableaux magistraux présents à Naples, Londres ou New-York.

Caravage confronte le spectateur à son désir de chercher, de trouver du beau jusque dans l’effroyable ; un effroyable sublimé par la beauté, la beauté comme rédemption avec, comme prix à payer cet Effroi du Beau sur lequel a écrit et médité Pascal Quignard.

L’exposition confronte Caravage à ses contemporains qui ne sont pas que de simples faire-valoir, loin s’en faut.

Ils donnent à voir eux aussi quelques chefs-d’œuvre comme ce Reniement de Saint-Pierre du au pinceau de Saracenni.

Baglioni, Cigoli travaillaient également sur les thèmes mis en avant par la contre réforme et produisaient une peinture de haut niveau. Ils étaient parfois amis, parfois ennemis.

C’est superbe !

Jusqu’au 28 janvier 2019

Musée Jacquemart André
158 Boulevard Haussmann,
75008 Paris
ouvert tous les jours y compris les jours fériés de 10h à 18h. Nocturnes les lundis jusqu’à 20h30 en période d’exposition.

Pierre Vauconsant