« Cartes mythologiques » à la Villa Gabrielle : trois petites notes d’aèdes grecs par Benjamin Carteret

« Je pense donc je suis » démontrait René Descartes dans son Discours de la méthode. Mais qu’en est-il lorsque l’on repense ? lorsque l’on réécrit ? Est-on une seconde fois ce que l’on était hier ? A travers ses Cartes mythologiques, Benjamin Carteret invite à repenser, réédifier, rediviniser le mythe et la gloire helléniques passés. Une nouvelle appropriation des louanges portées aux divinités et mythes grecs prend vie sous nos yeux à la Galerie Villa Gabrielle.

Niché dans un petit écrin de verdure, à deux pas de l’Institut Pasteur et de l’officine jésuite Blomet, ce nouveau temple dédié à l’art contemporain pourrait presque passer inaperçu. Et pourtant, la Villa Gabrielle vaut le détour.

L’art y est vivant ; l’espace est un véritable « lieu de vie » nous confie ainsi Lucie Charasson. Historienne de l’art, elle est à l’origine de cette « galerie-appartement » qu’elle souhaite ouverte à tous et notamment aux influences les plus diverses.

Entre musée et salle d’exposition-vente, ce lieu atypique propose en cette saison printanière une nouvelle collection. Cette dernière poursuit l’idée originelle du lieu : mêler le « souvenir antique » à une conception plus contemporaine de l’art.

Dès lors, un savoureux mélange passant par un dialogue pertinent entre des œuvres diverses, se développe dans les deux pièces de cette galerie intimiste.

Suivez la voix

Cette représentation du souvenir antique est brillamment évoquée par le travail de Benjamin Carteret. En visitant les différents sites archéologiques en l’honneur des dieux et figures grecs que sont Demeter, Apollon ou bien encoreAsclépios, « je me suis demandé comment traduire l’image » s’interroge-t-il.

Comment, en d’autres termes, représenter ces endroits avec une vibration équivalente à celle que l’on ressent lorsque nous les foulons. Comment reproduire ces lieux où l’Histoire et les histoires s’entrelacent. 

L’historien retient les temples et autres stèles construits en l’honneur de ces divinités ; les artistes, le chant des aèdes qui entretenait la mémoire orale de ces mythes.

Pourtant, entre la pierre et la voix, Benjamin Carteret ne voit pas deux corps opposés. Ils sont au contraire les deux faces d’une même pièce. Ainsi, en suivant son triptyque « chant, performance, Polaroïd » l’artiste réconcilie ces deux éléments. Si les murs ont des oreilles pourquoi ne chanteraient-ils pas ?

En adoptant une démarche quasi scientifique, prêtant aussi bien à l’archéologie qu’au travail d’un géographe, Carteret dévoile in fine un projet aux ambitions architecturales.

En reprenant et en s’appuyant sur ces poèmes déclamés par ce cercle de poètes disparus que sont les aèdes, ce dernier est parvenu à représenter les fondations de ces lieux d’une manière fidèle et originale.

Par les mots, l’artiste donne forme à ces vestiges du passé. « Tout passait par la voix dans une tradition orale » explique l’artiste ; très vite donc, il lui a semblé logique de cartographier à l’aide de ces écrits, ces lieux.

Recherche de divinité

Telle une carte numérique nous indiquant notre chemin, ces Cartes mythologiques, constellations de mots, nous poussent à l’aide d’une voix pindarique, à la redécouverte de ces lieux au travers de leurs traces phoniques. On dit souvent qu’un lieu est habité : cette petite voix dans notre tête n’est pas ici une vue de l’esprit.

Carteret donne en effet vie aux chants des aèdes : chaque mot de ces poèmes devient dès lors une petite pierre de l’édifice global. Aucun mot n’est interchangeable ; les constructions qui se dressent devant nous s’élèvent et prennent forme grâce à l’ensemble de ces écrits.

Ces Cartes sont en réalité le symbole de la musicalité de la langue. La voix n’a pas besoin d’être suggérée ; ici les mots parlent d’eux-mêmes. Ils forment ce qu’ils décrivent.

Entre le faire et le dire il n’y a même plus un pas. Actes et paroles se rejoignent, permettant d’achever une seconde fois la construction de ces lieux sacrés. Benjamin Carteret ne se prête pas à la déconstruction, il reconstruit.

Une phrase a notamment motivé le projet de l’artiste. Il s’agit de cette assertion de Heidegger, « les dieux se sont enfuis ». Bien que non-croyant – Benjamin Carteret se définit comme « animiste » -, c’est pour répondre à une certaine dédivinisation de la société que l’artiste s’est lancé dans ce projet.

Mais la belle parole ne suffit pas forcément, encore faut-il lui donner un sens, une forme. Les mots ne sont alors plus tant des qualificatifs dans l’œuvre exposée, mais des outils. A l’instar des piolets et des marteaux utilisés par les bâtisseurs de l’époque, ces homérides envoûtants modèlent ces monuments ; temples désaffectés, mythes désacralisés et poèmes désenchantés renaissent.

Voix d’un chant, voie d’une époque

Réparties harmonieusement au cœur des deux pièces de la galerie, ces Cartes mythologiques nous guident vers l’édifice originel, vers la quête ultime : celle de la foi. Tel un pèlerinage, c’est en effet vers les Dieux que l’on se tourne lorsque l’on se plonge dans ces récits vivants et mouvants.

Comme des partitions ou un rouleau de papier, glissé dans une boîte à musique que l’on tournerait pour jouer une mélodie, ces Cartes nous donnent, grâce à leur voix, la voie.

Lucie Charasson offre ici une belle opportunité à cette ode lyrique et sensible de s’exprimer, mais aussi d’entrer en résonance, en dialogue, avec d’autres œuvres. Ainsi, aux côtés de ces cartographies chorales, l’exposition Fragments contemporains se déploie.

Le thème de la mémoire relie l’ensemble des artistes exposés. Carteret évoque la mémoire divine tandis que le jeune artiste Jules Goliath et ses blocs de béton de lieux fictifs, évoque davantage une mémoire de l’imaginaire.

Le sculpteur invite, non pas à se souvenir du passé, mais à espérer, à penser l’avenir. Au travers de fragments, il entend aussi expliquer le monde qui nous entoure. D’une vision antique, l’on passe au registre de la dystopie.

Un chant empreint d’une certaine mélancolie ressort de ces pièces. L’on perçoit aussi l’image d’une terre déformée, comme si cette dernière n’avait pas suivi le chant des aèdes, mais celui des sirènes.

Entre fantasmes et recherches d’une divinité perdue, l’exposition entend finalement réhabiliter le concept de croyance. En s’appuyant sur la civilisation antique, la Villa Gabrielle veut nous faire voir la voie, celle fondatrice qui a fait s’élever des temples, mais aussi une civilisation tout entière.

Au cœur de notre époque en manque de repères, les œuvres de Benjamin Carteret invitent à nous tourner vers le passé pour mieux comprendre d’où nous venons et ainsi savoir où nous allons ; je crois donc je suis.

Gabriel Moser.

Du 16 mai au 15 juillet 2024

Galerie Villa Gabrielle – XVe arrondissement de Paris, adresse précise sur demande.

Lieu d’exposition et de vente, la Galerie est ouverte à la visite sur demande.

Contact : contact@galerievillagabrielle.com