Claude Gillot : Comédies, fables & arabesques

Prévue au musée du Louvre en novembre dernier, l’exposition avait dû être annulée. Elle a trouvé « sa » place dans le magnifique musée Magnin à Dijon, dans des espaces qui la mettent encore mieux en valeur !

Les œuvres de Claude Gillot sont présentées dans une scénographie respectueuse du lieu, avec ses espaces colorés, seulement habillés de quelques cimaises. Du mobilier, choisi par Maurice Magnin pour la création du musée en 1938, vient compléter l’exposition.

Dessinateur et graveur des dernières années du Grand Siècle, Claude Gillot (1673-1722) doit sa réputation à la fantaisie et à l’originalité de ses œuvres, préfigurant la liberté de ton et de mœurs de la Régence. Parodies, scènes de sorcellerie, farces et théâtre de foire ont fait de lui un artiste de la satire, de la comédie et des arts du spectacle.

Au cœur de son œuvre, un riche corpus de dessins montre son attrait pour l’extravagance de la Comédie-Italienne, avec ses pantomimes, ses acrobaties et ses figures travesties. Costumier et décorateur pour l’Opéra de Paris à partir de 1712, Gillot fut aussi un ornemaniste recherché. Collaborateur de Claude III Audran (1658-1734) pour des intérieurs privés, il contribua également à renouveler le répertoire de l’arabesque.

Claude Gillot : Comédies, fables & arabesques

L’exposition rassemble une centaine d’œuvres et retrace pour la première fois en France la carrière et les multiples facettes de cet artiste encore méconnu, qui fut le maître d’Antoine Watteau. Le parcours se déroulent en sept sections thématiques :

Fêtes païennes & sorcellerie,

Mettant en scène des satyres et des nymphes célébrant des idoles ou parodiant les vices des hommes, ces suites mythologiques gravées, datées entre 1695 et 1705, furent considérées parmi les « meilleurs ouvrages » de l’artiste par les collectionneurs de son époque. La première suite des Bacchanales, décrivant des fêtes de débauche bachique, est suivie par les Passions des Hommes et deux Vies de satyres.

Cette imagerie populaire, plus courante depuis la décriminalisation de la sorcellerie en France à la fin du XVIIe siècle, fait de Gillot l’un des tout premiers à diffuser des œuvres relevant de l’occultisme.

Almanachs & calendriers,

Gillot illustre en 1709 et 1711 deux petits almanachs recto verso, sans doute destinés à être posés sur un bureau. Le premier commémore l’hiver glacial de 1709, que l’artiste prépare par des dessins au lavis à l’effet de grisaille. Il y dépeint la ville de Paris paralysée et les conséquences du froid intense sur la vie quotidienne, politique, économique et culturelle, ainsi que la désolation dans les campagnes. En 1710-1711, il conçoit deux autres images pour un nouveau calendrier dénonçant les effets dévastateurs de la spéculation, dont il fut lui-même victime à la fin de sa vie.

L’art de la fable,

Gillot signe en 1707 sa première collaboration avec l’écrivain Antoine Houdart de La Motte (1672- 1731), inaugurant une longue amitié entre les deux hommes. Ardent défenseur des Modernes dans la fameuse querelle littéraire les opposant aux Anciens, La Motte est devenu un auteur à succès. Rivalisant avec les célèbres fables de La Fontaine, il publie en 1719 ses Fables nouvelles, véritable manifeste moderne, en grande partie illustrées par Gillot. L’artiste y alterne des allégories animalières et prophétiques, se révélant un observateur amusé de la vie champêtre et urbaine.

Les fêtes champêtres,

Gillot s’inspire de scènes nordiques de fêtes de village et de kermesses mais y ajoute une dimension théâtrale et élégante. Ses bergers de fantaisie sont sans doute à relier au renouveau des églogues, courts dialogues poétiques mettant en scène, dans un cadre champêtre, des bergers musiciens chantant leurs amours sur fond d’allusions à des événements historiques ou contemporains.

Arlequinades, comédies & opéra,

La Comédie-Italienne offre aussi à l’artiste une galerie de personnages travestis dont Arlequin est l’un des plus populaires sur la scène française. Les deux tableaux les plus connus de ce répertoire théâtral, conservés au musée du Louvre – Les Deux Carrosses et Le Tombeau de Maître André (non exposé) -, ont longtemps été considérés comme de la main de Gillot. Les dessins préparatoires prouvent qu’il fut à l’origine de leur conception, mais les toiles ont sans doute été peintes dans l’entourage de l’artiste.

Le goût de l’arabesque,

Depuis le XVIe siècle, l’arabesque multipliait les combinaisons en usant d’entrelacs ou d’éléments végétaux, de rinceaux ou de cartouches, ponctués de figures allégoriques ou mythologiques, structurant le plus souvent de manière symétrique les espaces à orner.

À l’initiative de Claude III Audran (1658-1734), de Claude Gillot et d’Antoine Watteau (1684-1721), ayant tous trois collaboré sur certains chantiers, ces décors gagnèrent en souplesse, réduisirent la dimension de l’ornement, jouèrent davantage de l’asymétrie, renouvelèrent le répertoire figuratif et accordèrent plus d’espace au vide. Gillot, comme ses confrères, manifesta alors une imagination sans borne et multiplia les modèles pour l’ornementation des intérieurs comme pour les lissiers, les bronziers, les armuriers et même les peintres.

Le testament spirituel

Après son agrément à l’Académie royale en 1710, Gillot présente en 1715 un singulier morceau de réception sur le thème de la Passion du Christ, conservé en l’église de Noailles (Corrèze). En montrant la réalité de la souffrance du Christ, Gillot semble se faire l’écho de la piété du début du XVIIIe siècle imprégnée de la spiritualité du christocentrisme.

Exposition organisée par le musée national Magnin, Dijon, et Grand-Palais-Rmn, Paris. Commissariat général : Sophie Harent, Directrice du musée national Magnin ; Commissariat scientifique : Hélène Meyer, Conservatrice générale au département des Arts graphiques, musée du Louvre ; Xavier Salmon, Directeur du département des Arts graphiques, musée du Louvre

Du 21 mars au 23 juin 2024

Musée Magnin, Hôtel Lantin, 4 rue des Bons Enfants, 21000 Dijon

tous les jours sauf les lundis, de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h

https://musee-magnin.fr/

photos : Véronique Spahis