Corinne Fhima, la nouvelle Eve
Sur la scène de l’Art contemporain, Corinne Fhima a orchestré son entrée fracassante.
Revêtue d’un costume de super-héroïne, le visage encadré d’une perruque blonde et juchée sur des talons hauts, elle ne passe pas inaperçue. Son identité artistique, elle la clame en rimes et en musique :
« Je suis Corinne Fhima
Je suis Artiste avec un grand A
Je fabrique des auto-portraits, des doubles de moi-même,
des Eves, des Eves bottées, des Eves saucissonnées (…) des Eves costumées (…).
Les Eves, je les dispose dans des barquettes de viande standardisées, (…)
Les Eves, je les exhibe dans des armoires frigorifiques de super-marchés (…)
Des Eves acheminées (…) des Eves pour la distribution dans le monde entier (…) »
(Extrait de la performance Eve Delivery au Centre Pompidou, en collaboration avec Fred Forest, 2017).
Eve : la Genèse
Diplômée des Beaux-Arts de Paris, son épopée thématique et plastique autour du consumérisme débute durant ses années étudiantes. Cette période, rythmée par ses recherches esthétiques, la conduit à s’intéresser à l’image du porc. Son travail se concentre alors sur le rapport que l’on entretient avec la nourriture et la viande. Elle décline le cochon sous de nombreuses formes avec ses Pig Series et insuffle à l’animal un soupçon d’humanité. Personnifié et assimilé à l’Homme, elle le substitue peu à peu par son personnage féminin qu’elle baptise Eve. Son alter-ego haut en couleur devient le modèle de ses toiles et le principal acteur de ses performances.
Eve Factory, Eve Market, Eve Delivery
L’artiste le rappelle, Eve ce n’est pas elle. Eve c’est un double au service de son art, l’incarnation loufoque d’une femme profondément ancrée dans son époque. Le costume de super-héroïne qu’elle enfile lui permet d’oser, d’affirmer une identité visuelle percutante qui parle au plus grand nombre. Son travestissement rime avec une théâtralité assumée et crée un décalage en contraste avec une démonstration artistique forte.
Corinne Fhima fut frappée à l’occasion d’un voyage en Chine par l’impression diffuse d’une uniformité, de la disparition des singularités culturelles passées sous le rouleau compresseur de la mondialisation. Toile de fond de son propos, la mondialisation portée par la production de masse est abordée sous trois angles : Factory, Market, Delivery.
Mis en scène par la figure récurrente d’Eve, l’artiste rejoue ces étapes avec brio et s’en inspire sans pour autant tomber dans la caricature de la dénonciation.
Elle donne à voir la production, la gestion et la distribution des Eves, effigies miniatures qu’elle emballe dans des barquettes de viande. Ses Eves commercialisées sont ligotées et nues, certes, mais elles se jouent au second degré des modèles stéréotypées. Corinne Fhima aime avant tout s’amuser avec les qualités plastiques du corps féminin et le mettre en valeur. Si la nudité peut apparaître choquante pour un public néophyte, l’artiste se défend en revendiquant son admiration pour la beauté du nu, propre à la Renaissance. « Mes seules sources d’influence proviennent incontestablement de l’art classique, mais je n’ai pas de modèles à proprement parler. J’ai envie d’être moi-même et préfère suivre mes propres idées. Je laisse la place au rêve et à l’étrange. »
Entière et singulière.
Eve, l’avenir
Le projet Eve ne cesse de se développer et de prendre de l’ampleur. L’artiste fourmille d’idées pour faire évoluer son personnage et ne se fixe aucune limite. Toujours avec le thème de la commercialisation et consommation de masse, elle couche d’abord ses projets sur papier et imagine des processus détaillées à l’aide de collages, prototypes…Tenue au secret, je ne révélerai rien de concret, mais ses propos demeurent chargés de promesse…
Portrait et propos recueillis par Lauréana Lebrun, étudiante en peinture et arts graphiques à l’IESA.
Crédit photos : Corinne Fhima, Galerie Baudoin Lebon, et Lauréana Lebrun.