De Garamont aux Garamond(s) : une aventure typographique

A quelques mètres de la célèbre coupole de l’Institut de France, la bibliothèque Mazarine offre aux amoureux du livre et de son histoire, de quoi satisfaire leur passion. La magnifique salle de lecture boisée propose également des expositions, des focus permettant de mettre en avant des pépites.

L’exposition présente en est un bel exemple !

Typographie classique par excellence, le « Garamond » domine aujourd’hui largement le paysage éditorial. De la Bibliothèque de la Pléiade aux volumes de Harry Potter, dans la presse ou la publicité, il s’affiche sur tous les supports et pour tous les usages. Pourtant ce nom générique regroupe un ample répertoire de lettres, d’une diversité de formes considérable : plus de deux cents polices numériques se présentent aujourd’hui comme des « Garamond ». Et tous leurs usagers ne savent pas forcément que ce nom se rattache au souvenir d’un artisan de la Renaissance, dont la carrière et la production sortent aujourd’hui de l’ombre.

L’exposition retrace les différentes étapes de la carrière de Garamont en présentant ses réalisations les plus emblématiques. Elle illustre également la destinée des caractères qui, sous le nom générique de « Garamond » (avec un « d ») ont accompagné le développement des industries graphiques de la Renaissance à nos jours

Aux origines du « Garamond »

Au début du XVe siècle, des humanistes italiens cherchent à renouer avec la culture classique. Désirant s’affranchir du passé le plus récent, ils rejettent l’écriture gothique, épaisse et noire, pour lui substituer une calligraphie « humanistique » souple et lumineuse, directement inspirée de deux écritures jugées « antiques » : la capitale monumentale romaine et la minuscule carolingienne. Cette calligraphie humanistique est transposée en typographie dès l’installation des premières presses en Italie en 1465 : c’est la naissance du caractère romain, dont le dessin est ensuite progressivement perfectionné par des imprimeurs comme Nicolas Jenson et Aldo Manuzio.

Employé en France dès 1470, le caractère romain reste longtemps réservé aux textes humanistes en langue latine. La situation change en 1527, lorsque François Ier décide de promouvoir l’usage conjoint de la langue française et de la lettre romaine, afin d’augmenter le prestige culturel du royaume. La fin de la décennie 1520 apparaît ainsi comme un moment d’intense réflexion pour les typographes parisiens soucieux d’obéir à l’injonction royale. Ce processus aboutit à l’introduction de caractères très nouveaux par Robert Estienne en septembre 1530, au moment précis où Claude Garamont, encore adolescent, débute son apprentissage.

Claude Garamont, graveur de caractères

Fils d’un imprimeur d’origine bretonne, Claude Garamont débute son apprentissage vers 1530 sous la direction d’Antoine Augereau, jeune typographe établi rue Saint-Jacques. Tout en se formant à la gravure et à la fonte de caractères, il découvre les milieux humanistes qui gravitent autour des « lecteurs royaux ». En 1535, après l’exécution de son maître pour « hérésie » protestante, Garamont débute sa carrière. Recruté comme fondeur de l’atelier du Soleil d’Or, il est repéré par l’aumônier du roi Jean de Gagny, qui devient son protecteur et qui l’associe à différents projets culturels portés par la couronne. En 1539, Garamont est d’abord chargé d’équiper l’imprimerie de Conrad Néobar, récemment nommé « imprimeur du roi pour le Grec ». L’année suivante, il reçoit la commande des « Grecs du roi », dont la gravure l’occupe près de dix ans. En 1541-1543, Garamont et son beau-frère Pierre Gaultier s’installent à l’hôtel de Nesle, localisé sur le site de l’actuelle Bibliothèque Mazarine. Ils semblent être chargés d’y établir une imprimerie dédiée au futur « collège des trois langues » que le roi a l’ambition de créer.

Après l’abandon de ce projet, Garamont se lance dans une brève carrière d’éditeur (1545-1546), puis se consacre pleinement à la gravure et à la fonte de caractères. Celui qui se présente déjà comme le « tailleur de caractères du roi » s’impose ainsi à la fin des années 1540 comme le graveur le plus réputé de Paris et conserve ce statut jusqu’à sa mort en 1561.

À la mort de Claude Garamont, les matériels de sa fonderie sont mis en vente. Des imprimeurs comme Christophe Plantin ou André Wechel acquièrent quelques frappes de matrices, mais l’essentiel des poinçons est alors acquis par Guillaume Le Bé, ancien employé de Garamont. La fonderie Le Bé (transmise au XVIIIe siècle à la famille Fournier) jouera un rôle déterminant dans la diffusion des types de Garamont en Europe. Fondus à partir des matrices originales ou imités par de nouveaux graveurs, les caractères romains de Garamont sont ainsi continuellement employés tout au long de l’Ancien Régime.

La résurrection

Durant la première moitié du XIXe siècle, qui voit triompher le style néoclassique des Didot, les caractères de Claude Garamont sont entièrement délaissés. Pourtant, après cette éclipse d’un demi-siècle, les types anciens sont réhabilités, grâce à l’initiative d’un imprimeur lyonnais, Louis Perrin, qui fait graver des caractères imitant ceux de la Renaissance. Perrin lance ainsi dans les années 1850 la mode des caractères dits « elzéviriens », qui réhabilitent les formes anciennes auprès du lectorat français.

Cette évolution conduit Arthur Christian, le directeur de l’Imprimerie nationale, à remettre en usage des caractères anciens, qui sont diffusés par son établissement sous le nom de « Garamond » à partir de 1900. C’est le début d’une véritable « Garamonomanie » : en l’espace de quelques années, plusieurs dizaines de revivals sont mis en circulation, non seulement en France mais également en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, où ils s’imposent massivement dans la presse, l’édition et la publicité.

L’histoire du « Garamond » accompagne ainsi la mutation des industries graphiques tout au long du XXe siècle depuis l’arrivée des fondeuses-composeuses mécaniques jusqu’à l’informatique, en passant par la photocomposition.

Du 30 septembre au 30 décembre 2022

Bibliothèques Mazarine et de l’Institut de France, 23 quai de Conti, 75006 PARIS 

du lundi au samedi de 10h à 18h – Entrée libre 

photos : Véronique Spahis