NOIR PROFOND
Il est des fois où l’on se rend au théâtre sans savoir très bien pourquoi. Je dois l’avouer, c’est presque toujours mon cas. Non que je ne m’intéresse à ce que me racontent mes amis ou les attachés à la communication mais préférant arriver vierge de tout ou presque, laissant de côté dossiers de presse et a priori sur l’auteur, le comédien, le lieu… Dans le cas d’espèce, je m’étais contenté du titre, énigmatique tant que la pièce n’a révélé ses secrets, et surtout de l’affiche. Quelque chose cloche dans cette posture de tendresse où la femme montre un visage hermétique et l’homme une crispation suspecte dans son abandon.
L’enthousiasme reste un sentiment dont il faut se méfier. L’on se surprend à trouver bien moyen ce qu’on prit pour chef d’œuvre quelques années plus tôt. Me trompe-je en disant au lendemain de la représentation -trop à chaud, donc- qu’un auteur est né à la scène ? Que deux comédiens irradient d’une intensité dramatique et émotionnelle rare, fuyant cette mode idiote consistant à rire de tout et à taire le sombre et l’abyssal ? Devrais-je alors tempérer le ton donné à cette chronique pour déclamer avec toute la réserve requise, du bout des lèvres, avec de p’tits mots pas trop engageants « oui cette pièce est effectivement intéressante et vient un peu bousculer la production parisienne » ?
Problème : le tiède m’emmerde. Au plus haut point. La vie est tout sauf tiède : cruelle, ironique, sournoise. C’est ce que nous dit ce jeune homme tout de noir vêtu. Pourrait-il porter autre couleur, sincèrement ? Rien d’ostentatoire, pas plus dans ses écrits que dans sa mise en scène (puisqu’il a aussi ce talent-là), que dans son interprétation (puisqu’il a aussi ce…). Le plomb se suffit à lui-même. Celui qui a coulé sur les épaules des deux protagonistes et d’un troisième, absent en scène pour des raisons que le narrateur ne dévoilera pas trop vite. Celui qui leur a figé les pieds au sol, comme ces deux cubes de plastique illuminé les figeant aux planches pour affronter droit dans les yeux un destin semblant tracé d’avance. Les ferments de ce qui bientôt ravagera tout sur son passage furent semés dès le départ, depuis la nuit des temps, croirait-on.
La musique créée par le groupe Aaron, cathartique, oppressante noie davantage encore une mère et son fils dans l’insupportable vérité qui s’est refusée à eux, à elle tout au moins. Tout comme ces vidéos à l’imagerie christique ou montrant inlassablement les gigantesques vagues prêtes à les engloutir. Les cris les plus stridents demeurent muets. Alors de cris, il n’y en aura pas. Juste un silence envahi par le grondement des ténèbres, un mur de silence zébré par la lave du lourd secret qui balaiera l’innocence, martyrisera les amours même fragiles. Un nouveau crucifié…
Vous le serez aussi par le texte d’un froid glacial, déclamé par deux acteurs magnétiques, féroces de contenance, bouleversants de dignité. Patrice Chéreau les auraient adorés. Anne Fontaine eut pu leur confier les rôles de Charles Berling et Natacha Régnier dans son « Comment j’ai tué mon père« . Cette création n’en restera pas là. Elle provoquera quelque autre cataclysme médiatique ou plus surement émotionnel. Victor Hugo disait qu’au théâtre seuls comptent le grand et le vrai. Le grand flatte les foules. Le vrai parle à l’individu. Je pense savoir ce qui plairait davantage à Olivier Chenille.
Le pitch : Le lourd rideau rouge s’ouvre, des mots lumineux viennent se graver. Ils annoncent le premier des trois actes. Face au public sont installés une femme et un jeune homme. Elle, c’est Catherine (Joana Preiss), elle est la mère protectrice ou indifférente. Sa vie semble sur le fil du rasoir, comme arrêtée en plein vol. Antoine, son tout petit, son enfant chéri, a disparu. Pour cette louve, tous sont coupables. Lui, c’est Seroja (Olivier Chenille), nouveau-né abandonné en Hongrie par une mère dont il ne sait rien et recueilli par Catherine alors qu’elle n’en voulait déjà plus. Il finit recalé au second plan après la naissance du fils légitime Antoine. Sans échanger, sans se regarder, chacun laissera échapper sa vérité. Pas de remords, non pas de fautes avouées, pardonnées, juste une dernière fois, une première fois, se parler. Jusqu’à la dernière révélation, celle de l’indicible. Face à face cruel de deux survivants en quête si ce n’est de rédemption, au moins de réponses. « Derrière les montagnes », tel est le nom de la pièce qui vient de démarrer au théâtre du Marais à Paris. Quelles montagnes ? Celles dont chacun hérite puis agrandit, pour se protéger non des ennemis, mais des plus proches. A tort, a raison ? Personne ne peut le dire, surtout lorsque « le fil est coupé ».
Teaser : https://vimeo.com/163111890
Réservations : https://www.billetreduc.com/160837/evtbook.htm
David Fargier aka Vents d’Orage