Des mots et des actes de Jérôme Garcin : ces cruelles Belles-Lettres sous l’Occupation.

Une anthologie des Belles-Lettres sous l’Occupation par Jérôme Garcin, retirant le voile pudique posé sur la littérature française, aussi intrigante que glaçante, dans ce clair-obscur livresque de 39-45.

« La littérature figure, pour moi, un ciel d’été sans nuages ». Ainsi Jérôme Garcin, en toute franchise, introduit-il son récit des Belles-lettres sous l’Occupation. Très vite pourtant, le propos se durcit, les masques tombent et le ciel bleu d’une resplendissante idylle s’estompe dans la noirceur d’un funeste fantasme : la figure de l’écrivain insouciant sombre tandis que les griffes des stylos maculent la feuille auparavant pure, blanche.

Des mots et des actes, des mots aux actes… il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par nombre de plumes françaises à l’époque. Chardonne, Céline, Brasillach, Cocteau, Grasset… la liste s’allonge au fil des courts, mais néanmoins saisissants chapitres de ce livre qui retracent fidèlement les différentes étapes de cette collaboration à l’ombre des mots.

Le fil reliant l’ensemble des ces artistes du verbe n’est autre que la NRF. Cette Nouvelle revue française – éditée par Gallimard – va, en effet, durant la guerre, sous le regard attentif de Pierre Drieu La Rochelle, rédacteur en chef, devenir la principale tribune de l’élite culturelle française compromise avec l’occupant. Cette même revue qui, au moment de reparaître après-guerre, fera dire à François Mauriac qu’elle lui fait penser à « cette chère vieille dame tondue, dont les cheveux ont mis huit ans à repousser ». Ambiance.

Il faut dire qu’entre les écrivains qui ont collaboré, adhéré, du moins de façade, aux idées de l’occupant, et ceux qui sont restés en retrait ou se sont engagés corps et âmes dans le camp adverse, une scission intellectuelle, conceptuelle, et à tout le moins morale, s’est creusée et semble impossible à ravauder. Jérôme Garcin souligne cette fracture difficile à faire oublier ; ainsi en est-il de l’échec de la mission confiée au Comité national des écrivains (CNE) qui, à grand renfort de « listes noires » et autres tentatives d’épuration intellectuelle, n’a pas su panser les plaies du microcosme littéraire français.

« Ni juges ni mouchards »

User d’un crayon revanchard pour autoritairement décider qui peut ou ne peut plus publier au sortir de 39-45 ? L’aventure s’apparentant à de la censure tourne court. A problème complexe, toute réponse simple apparaît dénuée de sens. Plus encore, le problème semble insoluble.

« D’où vient que l’exercice de la littérature peut mener à l’insoumission comme à la soumission, à la bravoure comme à la lâcheté » se questionne Jérôme Garcin. Comme est-il possible de trouver une quelconque logique à une époque qui a vu évoluer un Paul Morand d’abord éditeur de Jean Prévost ; puis par la suite diplomate spécialiste de « l’entregent » et des fastueux dîners où les mets valsaient au rythme des propos antisémites des invités haut en couleur ; tandis que Prévost se muait en « Capitaine Goderville », rejoignant le maquis et la Résistance ?

L’époque est aussi trouble que complexe, et la retenue dans les propos – qui semble être, a posteriori, le bon réflexe à adopter – n’a finalement pas été cette règle de rigueur, d’or, que l’on pensait pouvoir appliquer.

« On n’est pas, dans l’absolu, un héros ou salaud, on le devient » défend, sans verser dans une moralisation à outrance, l’auteur. Ces cruelles, mais néanmoins Belles-lettres, nous rappellent le danger qui nous guette tous : celui d’être emporté par la foule grouillante, sans même réfléchir un instant aux conséquences de nos agissements.

Le guerrier guerroie, l’écrivain écrit ; l’un se doit de suivre ses troupes et de faire preuve de courage mais aussi d’humanité ; l’autre doit défendre, sans verser dans une violence sans nom où les mots sont bafoués, suscitant les maux et, in fine, l’émoi. En somme, trouver une ligne de crête, énoncée par Jean Prévost. Ce dernier aimait à dire qu’il défendait « violemment des idées modérées ».

Au risque, cependant, d’y perdre sa plume.

Gabriel Moser

Des mots et des actes – Les belles-lettres sous l’Occupation de Jérôme Garcin, paru chez Gallimard en septembre 2024 – 18,50 euros.