Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt nous accueillent, les mains couvertes d’encre, dans l’atelier de la première au cœur du 18ème arrondissement. Elles sont en plein tirage de leur œuvre Hommage à Goya, qu’elles envisagent comme une réponse artistique à leur prédécesseur, dans le cadre de leur exposition à la galerie Terrain Vagh. Les deux artistes s’affairent de manière harmonieuse autour de leur plaque de Rhodoïd gravée, sans jamais se gêner, puisque l’une est droitière et l’autre gauchère.
Le processus est fascinant à observer : elles recouvrent la plaque de peinture, puis, à l’aide de cotons-tiges, retirent du surplus ici et là, aux endroits qui doivent rester blancs. Une fois satisfaites, elles appliquent la plaque sur la toile et les passent sous la presse. Cette fois-ci, c’est Sophie qui se met à la tâche, car elle a quelques tirages de retard… Une fois la peinture appliquée, elles reprennent au crayon ou à l’encre là où c’est nécessaire. Cette technique de peinture sur gravure leur permet d’obtenir plusieurs tirages d’une même œuvre. Ce ne sont pas de simples reproductions puisque le caractère aléatoire de la presse, dont le fonctionnement semble mystérieux et imprévisible, rend chaque tirage unique.
Pourquoi ce choix de s’inspirer de Goya, cet artiste espagnol de la fin du 18ème siècle ? Ce peintre — qui affectionnait également la gravure — développa par son observation des mœurs de la cour un profond dégoût pour celles-ci. Ce sont notamment ses critiques de l’obscurantisme qui ont séduit Sophie Sainrapt et Emmanuelle Renard, très sensibles aux valeurs humanistes. Le discours sur la société est ce qui le rend encore pertinent de nos jours, et ce qui rend leur réponse judicieuse, selon elles.
Les deux artistes se retrouvent également dans les motifs récurrents chez Goya : la nature, l’humain, la société. Le monde animal et végétal est un des thèmes de prédilection d’Emmanuelle, qui a déjà, au préalable de sa collaboration avec Sophie, réinventé l’âne de Goya. Sophie, quant à elle, s’intéresse beaucoup à la représentation des corps féminins, comme son prédécesseur. Elle revendique l’importance de poser sur le corps des femmes un regard dénué de jugement moralisateur. Ces différents thèmes se cristallisent par exemple dans ces déclinaisons du Sabbat des sorcières et de Disparates.
Que leur a appris ce travail à quatre mains ? Les deux femmes se regardent avant de répondre, complètent les phrases l’une de l’autre, se coupent parfois. Sophie souligne qu’Emmanuelle l’a poussée à prendre des risques dans la technique, tandis qu’elle a marqué leurs œuvres par la douceur de son trait. Et la suite ? Elles débordent d’idées, et souhaitent continuer à « répondre » à d’autres artistes de la Renaissance : Titien, Le Caravage, Le Greco…
Marie Agassant
Du 5 octobre au 22 octobre – prolongée jusqu’au 9 novembre 2022
Exposition « Disparates », Hommage à Goya, gravures originales
Galerie Terrain Vagh, 24 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris
du mardi au samedi de 14h à 19h