« L’artiste doit être au cœur de tout projets de civilisation, intégralement et radicalement ». Ces paroles sont celles du très célèbre Frans Krajcberg, artiste réputé du XXème siècle, engagé dans l’écologie et la lutte contre la déforestation de l’Amazonie. Il naît en 1921 dans une famille juive, subit la Shoah et perd sa famille qui est brulée dans les camps. Après la guerre il décide d’émigrer au Brésil où il trouve sa place. Il est fasciné par la richesse naturelle de la faune et de la flore de ce pays. Bien que très enclavé dans le Brésil, Frans Krajcberg n’en reste pas moins européen. Il tisse des liens avec Paris et les artistes de Montparnasse qui le poussent dans son engagement.
Avec ferveur, il constate qu’au Brésil le feu est partout ; les forêts sont incendiées sous ses yeux. Ce génocide planétaire n’est que très peu considéré à l’époque. De là, il décide d’entreprendre un travail qui sera celui de sa vie : « entraîner un mouvement qui mobilise l’expression d’une conscience planétaire ». L’artiste consacre son art (qui est cri pour la planète), à la dénonciation de la destruction de la plus grande forêt du monde. Il réalise des œuvres principalement faite d’éléments récupérés en Amazonie qu’il exploite, leurs redonnant vie en tant qu’œuvre d’art. En 2016, il est mis à l’honneur par la biennale de San Paulo puis il est invité en 2017 au musée de l’Homme de Paris pour répondre à la question du “ où allons-nous ?”. Son œuvre poursuit une interminable quête qui fait revivre la mort constituant, de fait, un parallèle avec sa propre blessure familiale. Des installations qui s’entrelacent, pleines de troncs polychromés de minerais, d’empreintes de la nature.
Éric Darmon, producteur- réalisateur de Mémoire Magnétique Productions, a réalisé un documentaire sur la vie de l’artiste Frans Krajcberg. Grâce à ses longs-métrages sortis en 2004 et diffusés sur France 5 en 2005, il a reçu le prix de l’UNESCO en 2004.
« Le documentaire sur Frans Krajcberg commence par des images d’une nature époustouflante, cela est-il un message de paix ? Les premières images, sont celles d’une mise en scène de la nature, elles laissent le spectateur entrer dans cet univers capsule qui absorbe celui qui le voit. Je fais le parallèle avec un film de Belmondo où les premières images sont celles d’un Indien, qui, sans parole, est désemparé. C’est cette sensation que j’ai souhaité réadapter, pour que le spectateur le soit lui aussi ».
Pourquoi n’y a-t-il pas de dialogue au début ? « Pour créer une bulle de silence, pour que, dès le début du documentaire les gens comprennent ce qu’était la vie de Krajcberg, une vie faite de silence car il vivait seul avec ses aides et ses gardes du corps à la fin de sa vie. C’était un homme qui ne concevait pas la partie commerciale de l’art, il ne voulait pas être sur le marché ».
Pourquoi avoir voulu faire un film sur lui ? « Parce que Krajcberg a été mon voisin pendant près de 35 ans ici à Paris. Il venait deux mois par an, il avait son atelier en face de mon bureau dans la villa Vassilieff. Ça n’a pas été un projet facile, tout d’abord parce que le scénario a été refusé par France 5, puis grâce à des connaissances notamment Claude Mollard le directeur de la branche audiovisuelle du ministère de la Culture, il a pu être modifié. À l’occasion de la sortie du film au jardin de Bagatelle, il y a eu une exposition de Silvie Le Ponte avec plus de 150 oeuvres d’art qui faisaient partie du parcours du spectateur.
Quel était le rapport à la vie de Krajcberg ? « Son rapport à la vie aa commencé par son expérience de la Shoah : sa mère a été assassinée, son père a été brulé dans les camps. Durant toute sa vie, je remarquais que plus il s’approchait de la mort, plus il devenait sinistre, il parlait de la Shoah et de la forêt amazonienne. Il participait à des manifestations pour les indiens d’Amazonie. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que son art est aussi ciblé. Krajcberg était quelqu’un d’internement violent, il prend autorité sur son oeuvre. C’était aussi quelqu’un de très méfiant envers les autres. »
Qu’est-ce que le film peut apporter, quel est son but ? « C’est un documentaire engagé, il est là pour faire connaitre encore plus l’artiste, son combat qui doit être accompagné. Beaucoup de personnes qui l’ont vu ont été sensibilisées par ce fait de société notamment par la réalisation des oeuvres empreintes. Son oeuvre n’est pas trop conceptuelle, ça reste très figuratif et il perpétue ainsi la mémoire de la nature ».
Est-ce qu’il veut finalement parler d’un deuxième génocide ? « Oui, c’est sans aucun doute son message, il s’est fait l’avocat de l’Amazonie par son art car il disait, « si je crie on va me prendre pour un fou donc je crie à travers mon art ». Lorsque sur le conseil de son ami Chagall, il déménage au Brésil, il y trouve une telle beauté qu’il veut perpétuer cette mémoire de la natur »e.
Le droit des Indiens est aussi présent dans son œuvre ? « Oui, bien que ce n’était pas son principal sujet, à l’opposé d’autres artistes comme Salgado, il a cette conscience que les indiens sont chez eux dans la forêt, la notion de propriété privée est induite… L’association des amis de Frans Krajcberg lutte pour que l’appel lancé par l’artiste résonne le plus loin possible, en rassemblant autour de son oeuvre toutes les personnes souhaitant s’engager au service de la VIE, de l’ART et de la PLANÈTE. »
Rosalba Palazzi
Les œuvres de Frans Krajcberg sont présentes de façon permanente à l’espace Frans Krajcberg
21 Avenue du Maine, 75015 Paris.
Ouvert de 14h à 18h du mardi au samedi.