Fred Forest, Les Territoires
ENFIN !
C’est ce que la plupart des amateurs d’art conscients de l’importance et de l’originalité du travail de Fred Forest, ne peuvent, à juste titre, s’empêcher de penser. Mettre enfin à la disposition du regard grand public un parcours qui retrace les étapes importantes de la création de cet artiste souvent désigné comme « hors normes » fait œuvre de réparation tardive eu égard aux missions des institutions culturelles françaises dans leur rôle de passeurs chargés de transmettre dans sa diversité, la production actuelle. L’exposition dévolue à Fred Forest jusqu’au 28 août prochain dans le Forum niveau -1 du Centre Pompidou se divise en deux grandes parties : l’une orchestrée de main de maître par sa jeune commissaire Alicia Knock rassemble sous l’aspect d’une rétrospective nombre d’archives personnelles de l’artiste dont certaines appartenant au fonds Fred Forest de l’INA (photos, correspondances, affiches, mail-art, revues, catalogues, cartons d’invitation, pages de journaux, archives télévisuelles, objets, etc.) accompagnant des œuvres historiques originales (dessins, peintures, diaporamas, vidéos, réponses écrites ou dessinées des lecteurs de la presse écrite invités à s’exprimer par un protocole minutieusement élaboré par l’artiste) montrées pour la première fois dans un musée national d’art moderne français. Et l’autre partie, entièrement assumée dans sa conception par l’artiste et réalisée spécialement pour cette exposition, se composant d’une part d’une application utilisant les technologies avancées de Réalité Virtuelle dans une sorte de jeu-quête et visite à distance de son Territoire, téléchargeable sur les Smartphones des visiteurs ou des internautes et lisibles sur des casques Homido mis à la disposition du public au centre du Territoire du M2, outil symbolique et conceptuel conçu par l’artiste, matérialisé physiquement sur le sol du Forum -1 par un espace découpé en mètres carrés, quadrillé en blanc et d’autre part d’une œuvre participative utilisant le réseau social Twitter et un logiciel développé par la société Novius permettant l’affichage des Tweets participatifs sur un mur-écran du niveau 0 du Centre Pompidou transformé le temps de l’exposition en un Tweetwall d’affichage des images des visiteurs et des internautes invités à « marquer leur Territoire » en prenant leur pied (en photo ou dessin) et s’exposer ainsi au Centre Pompidou !
L’implication d’un art pour tous et par tous :
Au-delà de l’aspect critique, contestataire, activiste, de créations artistiques que certains ont pu juger un peu trop vite comme des « canulars », cette exposition a le grand mérite de nous faire découvrir un art exigeant, profond, complexe. Un art pour tous et par tous qui engage à la fois l’artiste et ses lecteurs. L’artiste parce qu’il prépare – en plasticien chevronné, peaufinant ses techniques personnelles d’infiltration des medias de masse – les protocoles très étudiés de ses œuvres participatives que sont par exemple les Space-médias,1972 ou La Maison de vos rêves, 1978, dans la presse écrite, Télé-Choc-Télé-Change, 1975 dans l’espace télévisuel, La Bourse de l’imaginaire dans ce même Forum -1 du Centre Pompidou en 1982, Les Miradors de la Paix, 1993, sculpture/installation sonore utilisant la radio à la frontière entre l’ex-Yougoslavie et l’Autriche, invitant le monde entier à envoyer par-delà les frontières, des messages de paix. Et ses lecteurs-acteurs poussés à l’action, emportés par le souffle de l’énergie créatrice des matrices communicationnelles patiemment concoctées par l’artiste, agissant comme de véritables révélateurs, au sens de l’ingrédient chimique indispensable à la photo argentique. Révélateurs d’une véritable fresque sociologique où chaque individualité qui s’exprime rejoint et complète les diverses facettes d’une mosaïque collective qu’en acteur de l’art sociologique – rappelons ici que Fred Forest est le co-fondateur avec Hervé Fischer et Jean-Paul Thénot du Collectif d’art sociologique en 1974 – puis en esthète de la communication, Fred Forest aura su générer de la part de ses lecteurs-contributeurs-producteurs, dégageant ainsi chez eux un fort sentiment esthétique de présence par l’implication.
Un art vivant, c’est ce que l’artiste a voulu réactiver dans le musée en donnant vie à son Territoire installé au cœur du Forum -1 lors d’une performance qu’il a organisée le 6 août dernier, invitant artistes, judokas, conseillers municipaux, galeristes, producteurs ou citoyens à s’approprier un mètre carré de Territoire, le temps de la performance dans un joyeux désordre vivifiant, sonore et tonique.
Et c’est ce que l’artiste réitèrera le dimanche 27 août, à nouveau dans l’espace de son exposition en y organisant de 15h à 17h une nouvelle performance collective à connotation littéraire cette fois. Après le livre-objet que tout le monde connaît et le livre-performance pratiqué par certains adeptes de l’oralité, l’artiste vous convie à assister au « livre-événement » pour le soutenir et demander la prolongation de son exposition. En effet, alors qu’un autre protagoniste du Collectif d’Art sociologique, Hervé Fischer est exposé du 15 juin au 11 septembre 2017, l’exposition de Fred Forest qui a commencé en pleines vacances estivales le 12 juillet devrait se terminer le 28 août, avant la rentrée. A ce propos, il est à souligner un manquement criant de la part de l’institution, fautive dans sa mission de médiation auprès du grand public : aucun lien explicite et clairement pédagogique n’est fait entre les deux expositions de deux artistes (Forest et Fischer) ayant fondé et œuvré ensemble au sein du même collectif d’artistes. Incompréhensible !
Quelques liens :
https://www.youtube.com/watch?v=3aIK9TvAWPs
goo.gl/8dQiCH
http://www.fredforest.org/m2
http://diagonaledelart.blogs.liberation.fr/2017/07/25/fred-forest-le-hacker-de-limaginaire/
Sophie Lavaud
Crédits photographiques : Hervé Véronèse et Sophie Lavaud
Jusqu’au 28 Août 2017
Centre Pompidou – Forum niveau -1
11 h à 21 h
Entrée libre
« Par souci d’équité de traitement des artistes, (banckable ou non banckable/ bien rangé dans les cases ou agitateur), une pétition circule pour allonger la durée de la rétrospective de Fred FOREST, à la durée usuelle des autres expositions organisées par le Centre Pompidou » :