Jusqu’au 2 janvier 2023, au Centre Pompidou, une fabuleuse rétrospective du peintre figuratif Gérard Garouste, né en 1946, met en lumière les vides et les pleins d’une dérangeante et énigmatique écriture picturale. De l’aveu même de l’artiste l’exposition aurait pu se nommer le mensonge, les mots, différents niveaux de lecture où chacun y mettra ou y perdra son sens avec le zeugma (construction qui consiste à ne pas énoncer de nouveau, quand l’esprit peut les rétablir aisément, un mot ou groupe de mots déjà exprimés dans une proposition immédiatement voisine) en fil directeur à dérouler et à dénouer. Cette figure de style associant l’abstrait et le concret constitue la première clef de lecture des 120 tableaux majeurs de l’exposition associés à la sculpture, l’œuvre graphique et l’installation.
Placées sous le signe de l’étude mais aussi de la folie, le vie et l’œuvre inclassable de Gérard Garouste se nourrissent mutuellement en un saisissant et vibrant dialogue. Développant sa propre mythologie, les grands formats revisitent l’histoire de l’art à travers les genres de la peinture qu’il cherche à épuiser. À l’inverse, la matière tourmentée jaillit de chaque toile qu’elle soit à toucher ou à penser mais jamais à panser. L’humour, qui ne cultive pas l’atténuation mais la remise en question, « permet de glisser des choses graves ».
Gérard Garouste se situe résolument au-delà des temps et des modes. Étudiant aux Beaux-Arts de Paris à la fin des années 1960, sa lecture des entretiens de Marcel Duchamp avec Pierre Cabanne, après le choc qu’elle provoque, lui donne justement l’envie de braver l’interdit de la peinture à une époque où les pratiques conceptuelles sont de mise. Ainsi, il sera peintre, dans l’acceptation la plus traditionnelle du terme, s’attachant à la technique qu’il n’aura de cesse de perfectionner, en observant les grands maîtres, tout en affirmant une puissante signature esthétique évoquant une filiation avec Le Greco.
Dix-neuf approches chronologiques rythment le parcours de l’exposition dont le Classique et l’Indien – ou autrement dit l’apollinien et le dionysiaque – à l’œuvre en chacun de nous, les années Palace, la comédie policière/la règle du jeu puisant dans le tranchant du réel, l’ineffable qui se vit, Tal la rosée qui se caresse ainsi que la Divine Comédie de Dante. Focus sur ce premier grand récit littéraire mobilisé par Gérard Garouste qui donne naissance, après le milieu des années 1980, à un nouveau corpus, aux motifs en délitement et aux couleurs grinçantes. Le peintre se livre à une exploration picturale en osmose avec le célèbre texte décrivant la descente aux Enfers, jusqu’à faire basculer l’image dans une manière d’abstraction inédite. Mais la Divine Comédie est surtout pour Gérard Garouste une introduction aux différents niveaux de lecture biblique. Cette initiation prendra toute sa dimension à travers l’étude du Talmud et du Midrach, à laquelle se consacre l’artiste.
Pour Gérard Garouste, le sujet n’est cependant que prétexte à l’activation du regard et de la pensée. S’il livre quelques clés pour aborder ses peintures, il invite davantage à la réflexion, à une lecture personnelle de son œuvre. Forte de cette approche, la peinture de Gérard Garouste ne se veut pas séduisante. Elle ne craint ni les aberrations, ni les déformations, mutilations et recompositions de la figure. C’est une peinture qui questionne sans relâche, bouscule les certitudes : une peinture qui dérange, mais sur le mode d’un rébus ou d’un jeu dont les règles seraient sans cesse à réinventer.
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Commissaire d’exposition : Sophie Duplaix
Texte et photos : Valmigot
Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Galerie 2, niveau 6 – Ouvert tous les jours de 11h à 21h – Fermé les mardis
Visites guidées : En français tous les samedis à 16h et tous les dimanches à 14h et à 16h – En anglais tous les dimanches à 12h – Visites adaptées : toutes les informations sont sur le site
Autour de l’exposition : Le grand atelier de La Source – Une exposition-atelier proposée par Gérard Garouste. Accueil tout public, enfants à partir de 4 ans.