Le Musée de l’Orangerie accueille une partie de la collection Berggruen, installée d’ordinaire dans une des ailes du château de Charlottenburg à Berlin. L’exposition présente un peu moins d’une centaine d’œuvres de Matisse, Klee, Picasso, Braque, Cézanne et Giacometti pour célébrer l’œil d’un fin connaisseur et mettre en lumière l’attachement de Berggruen à l’art moderne et à ses figures emblématiques.
Né dans une famille juive à Berlin en 1914, Heinz Berggruen fuit le IIIème Reich en 1936 après avoir fait des études de Lettres. Boursier à l’université de Berkeley, il travaille au Museum of Modern Art de San Francisco. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’établit définitivement à Paris où il ouvre sa première galerie. Il est l’un des principaux marchands d’art moderne des années 50 à 70. Sa dernière exposition en 1981 est consacrée aux œuvres sur papier de Picasso, dont il possédait plus de deux-cent pièces à la fin de sa vie. L’exposition reflète l’engouement du collectionneur pour l’artiste espagnol, qu’il loue en empruntant les mots de Paul Eluard : « Cela valait la peine de vivre au XXème siècle pour avoir rencontré Picasso ». La moitié des œuvres présentées à l’Orangerie sont signées par le maître espagnol : dessins, portraits, sculptures, natures mortes … Parmi elles, l’imposante toile de 1942, Grand Nu couché, ou encore le Portrait de Georges Braque (1909-1910) que Berggruen a convoité plus de quarante ans.
Le marchand d’art possède aussi de nombreuses œuvres de Matisse qu’il a rencontré au début des années 50 et avec lequel s’est noué une étroite collaboration. Berggruen contribue notamment à faire reconnaître ses papiers découpés. Nu bleu, sauteuse de corde (1952) s’inspire de la danse acrobatique d’une femme vêtue d’un collant noir, à partir de laquelle Matisse découpe une figure dans du papier gouaché bleu. On ne manquera pas non plus Le Cahier bleu (1945).
L’art de Giacometti a également fasciné le marchand d’art qui s’est procuré quelques sculptures remarquables de l’artiste suisse-allemand : Le Chat (1951) arpente un mur du musée derrière lequel se trouve une Grande femme debout (1960). En vitrine, la magnifique Place (1948-1949) qui recréent les mouvements de silhouettes élancées.
Une autre grande passion qui a duré toute une vie est celle que Berggruen a eu pour Paul Klee qu’il nomme « le magicien » : il le considère à égalité avec Picasso comme le grand maître de l’art moderne. Son engouement pour l’artiste suisse-allemand constitue un contre-point à son amour pour le “grand espagnol” : s’il entretient une relation étroite avec ce dernier, il n’a en revanche jamais eu la chance de rencontrer Paul Klee. L’exposition présente des portraits à l’aquarelle : Maigres mots de l’homme économe (1924), sorte d’auto-caricature de Klee dont le titre fait référence à son langage laconique, Dessous et dessus (1932) et Dame scellée (1930). Enfin, on admire Perspective de salle à la porte sombre peinte en 1921.
Cette exposition est semblable à un véritable cabinet d’amateur. Berggruen en ressort comme un collectionneur passionné et obsessionnel bien plus qu’un simple marchand d’art, comme un homme ami de “ses artistes” plus que comme un exploitant de leurs talents. Une figure majeure du XXème siècle que l’on peine à retrouver dans le monde d’aujourd’hui.
Perrine Decker
Du 2 octobre 2024 au 27 janvier 2025
Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, Place de la Concorde (côté Seine), 75001 Paris
Ouvert tous les jours de 9 à 18h sauf mardi (nocturne le vendredi jusqu’à 21h)
https://billetterie.musee-orangerie.fr/fr-FR/produits-orangerie?famille=2019043555100408364