Henri Cartier Bresson et Sam Szafran : l’amitié en héritage à la Fondation Pierre Gianadda

Dans un écrin de verdure, à l’abri de montagnes enneigées rayonne un vaisseau dédié à l’art. Nous sommes à Martigny en Suisse dans un espace qui vaut le voyage à lui tout seul. Du 10 juin au 20 novembre 2022 s’y déploie une sélection de la plus importante collection de photographies d’Henri Cartier Bresson constituée en mains privées sur un peu plus de trois décennies. Cette collection de 226 clichés est d’autant plus remarquable qu’elle procède du choix de cet exceptionnel photographe du XXème siècle sous le sceau de « l’amitié intense » avec celui qui l’aura coaché dans sa reprise du dessin, de l’autre façon de cadrer le monde, son ami peintre Sam Szafran.

Ce choix, cette sélection au fil des jours, respire la pudeur dans le contre-jour de son mystère. Cependant la sobriété de l’accrochage contrastant avec la puissance graphique intemporelle du noir et du blanc, l’ensemble associé à l’intimité du format chère à Henri Cartier Bresson favorisent l’entrée en résonnance du regardeur. A chacun d’y donner du sens, son sens, avec la garantie de ressentir ce « désir de saisir dans une seule image l’essentiel d’une scène qui surgissait ». L’objectif a bien su fixer le « flagrant délit » de la vie.

Les passionnés et néanmoins discrets commissaires d’exposition de la Fondation suisse, Jean-Henry Papilloud et Sophia Cantinotti, y ont invité la délicate lumière des mots de celui qui prétendait « ne pas être écrivain mais juste de savoir écrire des cartes postales ». Ainsi l’exposition se ponctue de citations du preneur d’images Henri Ca Bré contraction de son nom dont il signait nombre de ses expressions sur papier. Faut-il entendre dans le son de cette signature le verbe d’action « cabrer » comme un frisson d’éveil, un sursaut de révolte de la part de celui qui « se sentait obligé de témoigner, avec un instrument plus rapide que le pinceau, des cicatrices de ce monde » ?

Peut-être bien lorsqu’on apprend que les deux hommes se sont rencontrés voilà 50 ans, le 16 mai 1972, à l’occasion du vernissage de l’exposition « 60-72, douze ans d’art contemporain » au Grand-Palais. Henri immortalisait avec son légendaire Leica les non sélectionnés, dont Sam qui y manifestait à l’entrée, chacun y révélant son point de vue tel un manifeste.

Cette exposition organisée en collaboration avec la fondation Henri Cartier Bresson prend sa source testamentaire dans cette confidence de Sam Szafran à Léonard Gianadda : « Au retour de l’enterrement d’Henri (en août 2004), j’étais tellement bouleversé ! Il m’a montré pendant trente-cinq ans une amitié extraordinaire, fidèle, et je voulais simplement que ça ne soit pas dispersé à notre mort. Donc j’ai trouvé que la meilleure façon de garder cette collection intacte, c’est qu’elle soit à la Fondation Pierre Gianadda ».

Ce lieu, lui-même émergence du tragique lié à l’amour fraternel dans son choix d’appellation, rend hommage au frère décédé si tôt, pérennisant ainsi la mémoire de Pierre, feu le frère de Léonard.

« Henri Cartier-Bresson et la Fondation Pierre Gianadda – Collection Szafran » titre et tend le fil émotionnel qui palpite au cœur de cet évènement. Les nombreuses dédicaces en constituent les battements tangibles. Les destins s’entrecroisent, les épreuves prennent la pose, les portraits tel « un point d’interrogation posé sur quelqu’un » se répondent.

La 226ème photo, « Bruxelles, 1932 », a été remise plus tardivement, en 2020, par Lilette, la veuve de Sam Szafran après le décès de ce dernier. Il est troublant d’apprendre qu’il la conservait près de lui, très exactement dans l’escalier de sa maison. Penchez-vous sur le travail remarquable de ce peintre figuratif et notamment sur son approche de déconstruction des perspectives de lieux clos…dont les cages d’escalier ! Une salle lui est entièrement dédiée à la Fondation Pierre Gianadda. Elle vous embarque dans le dédale d’un onirisme poétique, cette autre façon… de cadrer le monde.

La boucle est bouclée dans cette amitié qui jaillit. A la question du pourquoi le déclenchement du Leica à cet instant précis, Henri Cartier Bresson répond à l’artiste : « Pourquoi avez-vous mis une touche de jaune à cet endroit-là ? »

L’intuition du moment d’inflexion, cette fulgurance qui éclaire s’expose et se vit jusqu’au 20 novembre à Martigny. Allez-y.

Commissaires d’exposition : Jean-Henry Papilloud et Sophia Cantinotti (Fondation Pierre Gianadda) Pierre Leyrat et Aude Raimbault (Fondation Henri Cartier-Bresson)

Du 10 juin au 20 novembre 2022

Fondation Pierre Gianadda, Rue du Forum 59, Case Postale 528, 1920 Martigny -Suisse

Site : https://www.gianadda.ch

Ouverture tous les jours de 9h à 18h de juin à novembre, de 10h à 18h de novembre à juin

Librairie, boutique. Cafétéria intérieure et restaurant dans le parc (jardin d’hiver).

Parc de sculptures. Musée de l’automobile. Collections permanentes.

Texte et photos : Valmigot – 2 crédits photos Henri Cartier Bresson