Le théâtre de l’Essaïon, installé dans l’une des caves médiévales de l’ancien hôtel de l’Aigle d’or, dans le quartier du Marais à Paris, présente une pièce de la compagnie Théâtre en Fusion : Jean Zay, L’homme complet, mise en scène par Michel Cochet et joué par le comédien Xavier Béja.
La salle de l’Essaïon, en pierre voûtée, obscure, campe parfaitement le décor de la pièce: la prison de Riom où Jean Zay a passé les quatre dernières années de sa vie. C’est dans cet espace intime et dénudé que s’installe une promiscuité avec le comédien, seul en scène, qui puise la matière de son texte dans Souvenirs et solitude, carnets écrits par Jean Zay lors de sa captivité.
En une heure quinze, le jeune ministre emblématique du Front populaire, arrêté par le régime de Vichy suite à un simulacre de procès teinté d’antisémitisme, partage ses pensées, ses luttes, ses souvenirs et ses convictions politiques inébranlables, malgré sa longue et pénible détention. Xavier Béja, remarquablement juste et sensible, fait résonner entre les quatre murs de la prison de Riom les affres d’un corps diminué, d’un homme oublié et l’expérience d’un temps aboli. Mais il partage aussi ses idéaux politiques, ceux d’une gauche convaincue de la vertu émancipatrice de la culture. La force de la pièce tient aussi à sa dimension historique : des archives en noir et blanc sont régulièrement projetées pour nous rappeler le contexte de la France de cette époque et les réformes novatrices du jeune Jean Zay, devenu ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts en 1936, à seulement 32 ans. Et ses réformes sont nombreuses : pratique du sport à l’école, développement des cantines, école obligatoire jusqu’à 14 ans, création de classes vertes et de classes à la mer, sortie au théâtre, au musée, réduction des effectifs de classe etc.
On doit aussi à Jean Zay la création du C.N.R.S, du musée de l’Homme, du musée d’Art moderne et de celui des Arts et Traditions populaires, la fondation de la Réunion des théâtres lyriques nationaux, le développement de la lecture publique, l’invention des bibliobus, des moyens donnés à l’éducation et au théâtre populaires, la mise en place des droits d’auteur, la préparation du premier festival de Cannes, etc.
On comprend dès lors que pour Vichy, il est l’homme à abattre : il incarne l’intellectuel déraciné (son père était juif), le traître franc-maçon des valeurs religieuses (il est protestant) et militaires de la Nation, le dangereux réformateur d’un ordre anti-égalitaire. Et Vichy le condamne : accusé de désertion, il est enfermé quatre années puis impitoyablement assassiné dans un bois de l’Allier le 20 juin 1944, par des miliciens qui se font passer pour des résistants, libérateurs venus le sauver.
Dans une mise en scène sobre et épurée, Xavier Béja incarne admirablement cet « homme complet », donnant chair non seulement à cette figure historique, mais aussi aux projets exemplaires de la République sociale.
Dans Souvenirs et solitude, Jean Zay écrit : « Ainsi l’existence continue sans moi, indifférente et machinale [..] La condamnation à l’impuissance, voilà le trait le plus cruel de la prison. Il faut un effort pour estimer encore en soi l’homme complet. »
Perrine Decker
Crédit photos David Ruellan.
Du 16 janvier au 26 mars 2024
Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004, Paris
Les mardis à 19h15 – Supplémentaires : les 02, 03, 09 et 10 février à 19h15
https://www.essaion-theatre.com/spectacle/reservation/1045_jean-zay-lhomme-complet.html