Un apprenti humoriste issu du Nord qui se lance dans un one man show, « Jeanfi décolle », je demeure quelque peu sur mes gardes. Je suis lasse des plaisanteries éculées sur les ch’tis, symbolisées par un célèbre humoriste qui raille les attardés.
Surprise ! Agréable surprise, le solo de Jeanfi Janssens est frais, drôle, sensible, dynamique, bien mené. Il s’amuse à casser les codes et joue sur les clichés.
Totalement autobiographique, le spectacle commence en nous expliquant que là-bas, dans son petit village près de Maubeuge, les homosexuels, on les surnomme des « Marie Toutoule ». Entre deux rires, il nous rappelle qu’à Paris avec la Gay Pride et le mariage pour tous, on oublie qu’en province, l’homosexualité peut encore être pointée du doigt. Nous devenons hilares, lorsqu’il nous raconte le coming out de sa sœur, camionneuse de son état, puis plus tard, le sien. Même, lors de la description de sa mère obèse, de son père, prolétaire et bougon, cela reste empreint d’affection. Et c’est là, son tour de force, il réussit à camper des personnages caricaturaux, de son entourage, mais bien réels, tout en préservant une touche de tendresse. Cela pourrait faire penser aux peintures familiales de Muriel Robin. Rien de surprenant là-dedans, Muriel reste l’humoriste qui l’a toujours inspiré.
Les sketches se poursuivent avec une parodie du métier de Jeanfi. Et oui, dans la vraie vie, il est steward à Air France. Les anecdotes fusent. Avec sa gestuelle de gay, tout le monde en prend pour son grade : les premières classes, les passagers, les hôtesses qui se croient à un défilé de mode, les aigries qui vident les mignonnettes et les pilotes, souvent en grève.
Certains jugeront quelques-unes de ses blagues, salaces. Cela représente un point de vue. Pour ma part lorsqu’il assène « faut pas se leurrer, steward, c’est une hôtesse de l’air à couilles », je le trouve cru, mais jamais vulgaire. C’est peut-être dû à son sourire, sa douceur, ses blessures qui transparaissent en filigrane.
Il met en scène sa vie, son quotidien. Quand il relate le voyage de sa mère pour Rio, assise en première classe, faisant fi des relations très codifiées et interpellant ses business voisins, pour fièrement leur claironner : « c’est, mon fils », nul doute de l’authenticité. Jeanfi se gausse de lui-même, en nous détaillant ses injections de Botox, son dernier peeling, ses envies d’achat immobilier.
Et comment réagit ladite compagnie aérienne ? Excellemment bien ! Jeanfi précise que ses collègues et Air France l’ont toujours soutenu. C’est d’ailleurs son premier public. Durant les escales, ses collègues adoraient ses improvisations et ne cessaient de lui répéter : « Jeanfi, tu devrais écrire, tu devrais faire du théâtre ». En 2008, il s’essaye sur les scènes ouvertes. Agréablement accueilli par les spectateurs, il poursuit en participant à plusieurs tremplins. Puis il se met en disponibilité auprès d’Air France et enchaîne les succès : finaliste du Montreux Comedy Contest à Bobino, gagnant du tremplin de l’humour à Mans et coup de cœur du festival de Valberg. Il est alors programmé de septembre 2015, à juin 2016 au théâtre parisien, Bo Saint-Martin. Puis passage obligé, en juillet, il s’envolera pour le festival d’Avignon.
Quelle que soit l’histoire qu’il nous raconte, Jeanfi engage toute la générosité de son personnage, une Marie Toutoule devenue steward, puis maintenant comédien reconnu, puisqu’il a été recruté pour jouer, en janvier 2017, la pièce de Bruno Druart aux côtés de Laurence Badie et Henri Guybet.
Barbara Ates
Les représentations
En juillet il joue au festival d’Avignon
En septembre, tous les jeudis et dimanches Théatre Bo Saint-Martin à Paris
En janvier, il joue dans la pièce « Que la meilleure gagne » au théâtre des Lucioles à Paris