La cave

LA CAVE, L’histoire d’une pièce de théâtre dans le noir.

Il fait noir. Chloé, 13 ans, reprend lentement conscience. Pourquoi donc l’a-t-on enfermée dans une cave obscure ? Valentine, sa compagne de séquestration, plus âgée et plus mûre, va l’accompagner dans sa compréhension du sort qui l’attend… elle va surtout lui fournir les armes indispensables pour repousser le désespoir…

Je suis une pièce de théâtre jouée dans le noir qu’adorent les gens qui détestent le théâtre.

Voilà comment Caroline de Kergariou présente sa pièce.

J’étais l’assistant sur la création de La Cave au Théâtre Du Nord-Ouest en 2010, mais, mieux encore mon intimité avec l’auteur fait que j’ai « assisté » à toutes les étapes en témoin privilégié.

J’ai tout suivi. J’ai même été le premier détracteur de la pièce et sans me vanter j’aurais bien pu en être le fossoyeur, si j’avais, pour le malheur de La Cave, eu une quelconque influence sur ma petite amie…

«Dis ? Tu ne vas pas écrire une pièce sur l’affaire Dutroux !» «Si… pourquoi ? »

Ce devait être en 2003, il y avait une ouverture avec France Culture pour une fiction radio.

Elle a alors écrit la première version. J’étais touché, j’avais eu peur que le sordide l’emporte.

Le point de vue qu’avait adopté Caroline était à l’opposé de ce que je redoutais.

La survie étant de l’espèce des mauvaises herbes, elle s’accroche, prend racine sur quelques sédiments.

Quelque chose allait donc pousser dans cette cave. En laissant s’exprimer les filles, parler entre elles, en étant même au plus près de leurs problèmes quotidiens.

Et puis, comment survivre avec cette réalité impossible même à évoquer ?

C’était ça le sujet.

Finalement France Culture s’est dégonflée, l’affaire Dominique Baudis (à l’époque président du CSA ) rendait le terrain glissant pour toute histoire d’abus sexuel évoquant un quelconque réseau.

Baudis innocenté, l’affaire avait quand même eu raison de la première version de La Cave. Auto censure, quand tu les tiens !

Ce rejet provenant d’une station réputée pour sa liberté et sa créativité est significatif de ce qu’est le destin de La Cave et c’est France Inter qui a réalisé la pièce finalement, dans une version d’une vingtaine de minutes.

C’est une pièce « qu’adorent les gents qui détestent le théâtre » affirme Caroline de K, (ce qui devrait normalement lui garantir un succès planétaire…).

Je ne sais pas si c’est exactement leur détestation du théâtre qui a poussé certaines personnes à apporter leur soutien à La Cave.

Je crois qu’il y a toujours eu l’idée que c’était un projet essentiel et qu’il était important de l’amener plus loin.

Caroline a vite été encouragée à reprendre l’écriture, à faire d’un objet radiophonique un objet théâtral.

Il y a une certaine mode de l’obscurité, on va au restaurant dans le noir, il y a aussi cette idée de mettre le spectateur dans la peau d’un aveugle.

Des prétextes pouvant vite s’avérer être des pièges. Or l’obscurité de La Cave est inscrite dans le récit lui-même. Le noir s’impose parce que la situation se déroule dans le noir (Une mise en scène a pourtant eu lieu dans un semblant d’obscurité, pourquoi pas ?)

Il a été dit que La Cave n’avait pas d’écriture, c’est intéressant. Les gens de théâtre ont presque tous détesté.

Pas d’écriture, pas de mise en scène, il a aussi été dit que l’on n’avait pas le droit de faire subir ça aux spectateurs. Des critiques émanant de quelques personnalités du théâtre pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime par ailleurs.

J’ai été très surpris, le théâtre contemporain ne rechignant jamais à nous infliger des séances de tortures avec la redoutable conviction d’agir pour notre bien… Je croyais justement que le choix de la radicalité, faire la pièce dans l’obscurité totale et l’idée d’une performance impliquant même le public serait à leur goût.

C’est mal connaître ce qu’est l’écriture théâtrale, dont une tendance majoritaire a l’habitude de tenir à distance le réel. Ainsi La Cave, en dehors des spectateurs qui pour beaucoup ont apprécié la pièce et dont je ne connais pas les conceptions a été bien accueillie par les gens de l’art contemporain. Aimant eux aussi la radicalité mais ayant une relation presque opposée vis-à-vis du réel, qu’ils mettent volontiers en scène.

L’écriture de La Cave ne pouvait pas être conçue par Caroline d’une manière distanciée. On pourrait dire qu’elle tient davantage du scénario si l’on se réfère aux critères  habituels…

Alors est-ce que lorsque l’on est plongé dans une salle pendant une heure à écouter des voix, à percevoir des mouvements, des émotions, des silences, venir assister à un moment où quelque chose se passe, ce ne serait pas du théâtre ?

La pièce est actuellement rejouée en Belgique, non loin des lieux où le prénom de plusieurs jeunes filles résonne encore avec douleur.

A la fin de la représentation les gens ont mis du temps à pouvoir prononcer plus qu’un seul mot, puis cela a été très chaleureux, ils étaient rassurés par la pièce.

Les histoires donnent souvent la part belle aux prédateurs et les victimes n’ont pas grand-chose à dire : crier, hurler tout cela pour nous montrer la toute puissance du monstre.

Dans La Cave, cet être en tant que personnage disparaît, son rôle n’est pas distribué. On l’évoque, mais c’est juste un élément de l’histoire. Pas de fascination morbide.

Seules les filles sont en scène, est-ce que la parole des victimes dérange, je ne sais pas, elles ont sans doute plus à nous dire sur nous même que le tueur, une parole autrement plus importante !

L’éditeur Christophe Mory (la Librairie Théâtrale) dit dans sa préface : Que viennent voir les spectateurs ? Ou plutôt que viennent-ils entendre car la Cave est forcément dans le noir ? Un texte terrible et lumineux à la fois dont la fin coupe le souffle en nous poussant à tout relire, à tout revivre rétrospectivement – signe d’un grand texte. Et l’on sort de La Cave éblouis par la lumière, la vraie.

Eric Noirmain