La collection Morozov, icônes de l’art moderne, investit la Fondation Louis Vuitton

Il est des événements rares, qui ne se produisent qu’une fois par siècle. Le premier voyage de la Collection Morozov, hors de Russie, en est un. En effet, la Fondation Louis Vuitton accueille jusqu’au 22 février 2022, la collection constituée par Mikhail et Yvan Morozov, grands collectionneurs moscovites d’art français et russe.

Faisant écho à la collection Chtchoukine exposée il y a quelques années dans le paquebot architectural de Franck Gehry, ce diptyque artistique retrace ici l’histoire de ces industriels humanistes, dont la passion de collectionner fut érigée en art.

Riches d’une éducation artistique des plus complètes, les frères Morosov ont exprimé très tôt leur volonté de créer une collection représentative des mouvements modernistes de leur époque, à l’image de la scène artistique parisienne.

Parmi les peintres français suscitant leur intérêt, on peut citer Monet, Toulouse-Lautrec, Corot, Degas, Manet, Denis, Degas, Renoir, Gauguin et Van Gogh, comme les principaux inspirateurs de leur passion, si bien qu’au début du XXe siècle, la collection ne compte pas moins de 39 œuvres françaises !

A la mort de Mikhail Morozov (à l’âge de trente-trois ans) en 1903, Yvan poursuit le projet de son frère de réunir une des plus importantes collections d’art moderne français. Tout d’abord influencé par les grands impressionnistes, il découvre en 1907 l’œuvre de Cézanne et de Bonnard, qu’il achète en nombre, afin de décorer son hôtel particulier moscovite.

Quelques temps après la révolution bolchevique de 1917, un décret de Lénine nationalisa la collection d’Yvan Morozov, comptant alors 240 tableaux d’art français et 430 d’art russe. Durant cette sombre période, Yvan fuit Moscou avec toute sa famille afin d’émigrer en Europe, où il mourut en 1921, à l’âge de quarante-neuf ans.

Sa collection, avec celle de Chtchoukine, est dès lors intégrée au Musée d’art moderne occidental, inauguré en 1928, date à partir de laquelle, les tableaux subirent les vicissitudes de l’histoire et de l’idéologie soviétique, ponctuées de décrochages et de tentatives de vente sur le marché international. Ce n’est qu’en 1948, par un décret de Staline, que les collections furent réparties entre le Musée des beaux-arts Pouchkine de Moscou et le Musée de l’Ermitagede Saint-Pétersbourg.

Parmi les chefs-d’œuvre de cette fantastique collection, on découvre treize œuvres de Paul Gauguin, dont douze portant sur la période tahitienne du maître. L’ancien marin, qui rêve d’horizons lointains, nous fait pénétrer par sa peinture dans les rituels indigènes, nous faisant voyager dans un état sauvage. On peut citer plusieurs toiles, dont : Eu Haere ia oe (Où vas-tu ?), 1893 ; MATAMOE (La Mort), 1892 ; TE TIARE FARINI (Les Fleurs de France), 1891 ou encore NAVE NAVE MOE (Eau délicieuse), 1894.

L’œuvre de Vincent Van Gogh occupe également une place privilégiée dans cette collection, puisque c’est Mikhail Morozov lui-même, qui fut le premier à faire connaître le peintre en Russie dans les années 1890. On y découvre des toiles rares du génie de d’Auvers-sur-Oise, à l’image de : La Mer aux Saintes-Maries, 1888 ; mais aussi et surtout La Ronde des prisonniers, 1890. Cette dernière, inspirée par une gravure de Gustave Doré, nous fait entrer dans la cour d’une prison, à l’heure de la promenade. Les formes et les couleurs qui se dégagent de cette peinture, reflètent la douleur et l’intense souffrance des personnages enfermés derrière ces hauts murs de désespoir…  Cette vision des plus obscures, digne de l’Enfer de Dante, n’est pas sans rappeler l’esprit tourmenté de l’artiste, lui-même interné durant plusieurs mois dans l’asile psychiatrique de Saint-Rémy de Provence, à la suite de son automutilation de l’oreille. Les personnages ici se consument dans un brasier de détresse et de solitude vers un ciel peut-être meilleur.

Plus légère est la scénographie des autres salles, où les couleurs des fauves foisonnent de mille feux, se répondant de toile en toile. On peut ainsi se laisser emporter dans les paysages marocains d‘Henri Matisse, dont la période orientaliste est ici sublimée par des représentations de l’Atlas, des ruelles de Casablanca, ou d’une jeune femme aux babouches.

L’éclectisme du goût Morozov se retrouve également dans les nombreuses scènes parisiennes d’Albert Marquet, où la Seine est peinte sous tous ses aspects, aussi bien quotidiens que romantiques.

Paul Cézanne, « notre Maître à tous » selon la formule célèbre de Picasso, est très présent dans la collection des philanthropes moscovites. On peut ainsi admirer plusieurs représentations de la célèbre Montagne Sainte-Victoire, mais aussi un magnifique auto-portrait de l’artiste, faisant écho à des paysages et des natures mortes, où la composition des couleurs et des formes font pré-sentir l’arrivée du cubisme.

Ce courant capital de l’art moderne se voit notamment représenté par celui qui l’incarne le mieux, Pablo Picasso, grâce à un remarquable portrait du célèbre galeriste Ambroise Vollard. Le maître de Malaga est également présent grâce à deux autres tableaux des plus rares : Les Deux Saltimbanques, 1901 et Acrobate à la boule, 1905, présenté lors de l’exposition Picasso Bleu et Rose, sise au Musée d’Orsay, en 2018-2019.

La liste des chefs-d’œuvre étant trop longue pour être inventorier, c’est pour cela que nous nous sommes cantonner aux pièces capitales de cette rétrospective sur cet art si particulier : celui de collectionner.

Ainsi, cette exposition-événement regorge de mille trésors, tous plus précieux les uns que les autres. Telle une caverne d’Ali Baba, la Collection Morozov sublime la quintessence d’un goût pour les arts et notamment l’art moderne français dans toute sa splendeur. Semblable au Musée Imaginaire d’André Malraux, la Fondation Louis Vuitton a réussi à nous embarquer une fois de plus dans un incroyable voyage esthétique entre la Russie impériale et la France de la Belle époque. Sans aucun doute, l’exposition de l’année, peut-être de la décennie !

Nicolas Callegari

Jusqu’au 3 avril 2022

Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75016 Paris

Du lundi au jeudi de 10 h à 20 h, vendredi de 10 h à 23 h, samedi et dimanche de 9 h à 21 h

www.fondationlouisvuitton.fr