La Collection Renault sous le feu des projecteurs avant sa vente chez Christie’s

Protecteur des arts et des lettres ; tel était le titre qu’arborait Mécène, homme politique romain (69 av. JC). Sous l’Antiquité, art et société étaient deux choses indissociables. Cette tradition s’est pourtant quelque peu perdue et le mécénat comme on le connaît aujourd’hui, a mis du temps à réapparaître. Pourtant, certaines entreprises ont eu, avant les autres, conscience que l’art en entreprise, n’était pas, irrémédiablement, association antinomique. Renault fait partie de ces entreprises-collectionneuses. On redécouvre le groupe automobile sous une autre facette chez Christie’s, à l’occasion de Collection Renault, un temps d’avance ; une vente qui s’annonce mémorable, prévue le 6 juin prochain.

Fleuron de l’industrie française, le groupe Renault est aujourd’hui installé dans le domaine de l’automobile. Avec un chiffre d’affaire record en 2023, s’élevant à plus de 50 milliards d’euros, l’on est bien loin de la petite entreprise française créée à la fin du XIXe siècle par les deux frères.

Ces derniers inventent, pour leur premier modèle, la boite à vitesse en prise directe. Un premier temps d’avance, qu’ils conserveront. Précurseurs, ils le seront, par la suite, dans tous les domaines qu’ils ont su investir ; de l’automobile donc, en passant par l’aviation ou bien encore la recherche artistique.

Sous l’impulsion de Claude-Louis Renard, dit Claude Renard, Renault s’inspire de la culture d’entreprise américaine et de son mécénat d’entreprise. Un service dédié, Recherches Art et Industrie, est créé. Nous sommes en 1967 : sans le savoir, la France connaît alors sa « première collection d’entreprise ».

Culture d’entreprise

Un nouveau temps d’avance pour le groupe automobile ! Au fil des années, de nombreux groupes lui emboîtent le pas. Aujourd’hui, l’association pour le développement du mécénat industriel (Admical), qui recense l’ensemble des entreprises se prêtant à cette pratique, note une augmentation constante d’entreprise-mécènes. Renault a donc été visionnaire sur ce point pariant, à une époque où les nouvelles théories managériales étaient encore balbutiantes, qu’une entreprise se devait d’être plus qu’un simple lieu de travail ; un lieu de vie à part entière.

Certains pourraient estimer que l’art, de par son caractère noble, n’a pas à aller se salir dans une usine. Un certain mépris peut entourer les collections d’entreprise mais aussi les chefs de ces dernières, qui confient parfois des penchants artistiques qui peuvent apparaître comme dissonants.

Dans le film Le goût des autres, Jean-Pierre Bacri, riche chef d’entreprise provincial, est snobé, lorsqu’il n’est pas tout bonnement moqué par les personnages d’artistes caricaturaux du film. Ils ne lui accordent aucun crédit, aucune âme ou sensibilité artistique alors même que ce dernier fait montre d’une fascination pour un jeune artiste encore peu connu.

Terrain de vie, terrain de jeu

Or, l’art touche tout le monde et plus encore, se nourrit n’importe où ; aussi bien dans un musée que dans un espace de vie.

Dès lors, la création d’une collection d’entreprise, comme celle initiée par Renault, peut-être vue comme un choix censé. Par ailleurs, il permet d’insuffler une culture d’entreprise différente, plus ouverte et apaisée, passant par l’édification d’œuvres ouvertes, accessibles aux salariés dans leurs espaces de travail.

Christie’s souligne ainsi la philosophie du groupe automobile : ce dernier a toujours souhaité, avant tout, offrir un cadre de travail singulier et agréable à ses salariés, par l’entremise d’œuvres.

Pour les artistes enfin, cette exposition grandeur nature est aussi l’occasion de développer leurs esprits. En entreprise, un véritable terrain de jeu peut apparaître.

Ainsi, admirer un Debuffet en pleine usine Renault, n’est pas chose incongrue. Dans sa seconde période, dite de l’Hourloupe (1962-1974), l’artiste rend compte à travers des oeuvres polymorphes et colorées, d’un certain bouleversement, d’une recherche d’un art différent, dépourvu de son « conditionnement culturel » originel. Que de telles œuvres évoluent dans un espace de vie qui n’a pas pour première vocation la représentation de l’art, semble alors presque nécessaire à la bonne compréhension de ces productions.

Parmi les autres grands noms exposés à l’occasion de cette vente, Victor Vasarely tient une place particulière. Incorporé au sein de l’entreprise par le même Louis Renard, il est le parfait exemple de l’artiste qui s’empare du thème de l’entreprise pour sa propre production artistique. Il crée, notamment à l’époque, le fameux logo en losange de la marque, qu’elle conservera jusqu’en 1992.

D’autres artistes, moins connus du grand public français, sont également proposés aux futurs enchérisseurs. L’on perçoit la grande influence américaine de Renard en découvrant que la collection Renault recèle notamment des toiles de Sam Francis, ou bien encore de Raubert Rauschenberg, précurseur du pop art.

Trahison, passion

Christie’s réalise un véritable coup de maître en proposant cette vente, dont plusieurs pièces dépasseront sans doute largement le million d’euros. Cette manne financière peut faire tourner la tête ; pour Renault, elle est cependant nécessaire et son utilisation future, parfaitement réfléchie.

Avec le résultat de ces enchères, qui s’annoncent historiques à tout point de vue, la volonté du groupe est de créer un nouveau fonds pour poursuivre la philosophie originelle du groupe : avoir un temps d’avance.

Ainsi, ce fonds devrait être destiné à la poursuite de la collection Renault qui désirerait désormais se tourner vers le nouveau courant artistique qu’est le street art.

Si Debuffet, Vasarely et consorts sont maintenant connus et reconnus, cela n’était pas forcément le cas à l’époque où ils ont été achetés par le groupe. En pariant désormais sur le street art, Renault semble estimer que l’injustice et le désintérêt qu’on subit les égéries de l’art moderne d’hier, se retrouvent dans le traitement que l’on réserve à cet art urbain, ce nouveau modernisme, d’aujourd’hui.

Mais cet argument de la passion n’est pas du goût de tout le monde. Dans une tribune parue le jeudi 30 mai dans les colonnes du Journal des Arts, plusieurs artistes et collaborateurs de la collection Renault, ainsi que des héritiers et ayants droits, dénoncent un « tour de passe-passe inacceptable » qui trahit la lettre du « mécénat industriel » vers lequel s’était tourné Renault.

Plus encore que cette trahison, les signataires accusent Renault de se prêter à une « dilapidation » des œuvres qui a pour unique conséquence de les enfermer, loin des yeux du grand public. La seule solution, selon ces derniers, serait de confier ces productions à des musées, « si Renault veut vraiment agir en mécène ».

Être Protecteur des arts et des lettres au temps du marché de l’art spéculatif n’est pas chose aisée ; esprit de charité ou de cupidité, il faut choisir.

Gabriel Moser

Collection Renault, un temps d’avance, une vente Christie’s, le 6 juin 2024 à 17h ; 33 oeuvres.

En parallèle, du 30 mai au 7 juin en ligne, une série de 30 oeuvres sur papierd’Henri Michaux, issues des collections de Renault Group, sont proposées.

Christie’s, 9 avenue de Matignon, 75008 Paris.

Ouvert tous les jours, à partir de 9h00 en semaine ; à 10h00 le samedi, 14h00 le dimanche. Fermeture à 18h00.

Entrée libre.

https://www.christies.com/