Chacun des cinq artistes de cette exposition de la fondation Louis Vuitton possède une manière de s’exprimer tout à fait originale, et identifiable. Cependant, un trait les unit : la fougue avec laquelle ils utilisent pigments et matériaux dans l’élaboration de leurs œuvres. Une vitalité étonnante se dégage en effet de leurs créations où la couleur semble jaillir sans entraves : elle fugue.
Les deux artistes femmes de ce groupe de créateurs contemporains, Megan Rooney et Katharina Grosse, ont utilisé pour supports les murs même des galeries où elles se sont installées pour travailler ; la première pendant sept semaines, la seconde pendant sept jours. Bien que ce chiffre nous rappelle une autre création, il convient de signaler qu’il n’y eut guère de repos pour elles.
Megan Rooney, en particulier, réalisa une véritable performance physique. Perchée sur une nacelle, par l’application de couches successives de peintures, elle a élaboré peu à peu l’œuvre qu’elle a nommé With Sun. Soleil apporté par la lumière naturelle, grâce à l’ouverture du plafond, mais aussi par de chaudes couleurs, du rose à l’orangé, qui nous rappellent le printemps…
Celle de Katharina Grosse se trouve dans une salle aux dimensions plus monumentales, sur les murs de laquelle l’artiste a pulvérisé ses couleurs au pistolet, selon la technique qui lui est devenue habituelle… Ses œuvres sont toujours élaborées dans un dialogue étroit avec l’architecture des lieux et Splinter ne fait pas exception : la couleur se répand dans la salle à partir du mur le plus haut, où a été installée une structure étonnante, constituée d’une série de triangles superposés.
Deux autres artistes se partagent une troisième galerie : Sam Gilliam (tenant de la Washington Color School) et Steven Parrino ; chacun dans leur genre, ils bouleversent les règles habituelles de la peinture sur toile.
Le premier enduit son support de peintures acryliques et de poudre d’aluminium avant de le froisser puis de le laisser sécher. Enfin, les toiles ainsi réalisées sont nouées et suspendues en divers endroits, telles des nappes qui à force de sécher se seraient teintes des couleurs du monde… Ce sont les Drape paintings.
Le travail du second commence d’une manière tout à fait classique, il peint ses toiles de façon uniforme. Ensuite, il donne libre cours à son inspiration et déchire, froisse, perce ses œuvres, permettant à la couleur de sortir de sa plane condition. Ainsi, les limites communément admises entre peinture et sculpture sont brouillées, ce qui fait l’intérêt tout particulier de ces Misshaped Canvases.
Au premier abord, Niele toroni pourrait paraître un peu plus sage que ses confrères exposés dans l’utilisation des couleurs : depuis 1966 en effet, il peint des taches de 5 centimètres de largeur, à intervalles réguliers de 30 centimètres, sur des toiles blanches. Si l’on se donne la peine d’aller au-delà des apparences, on comprendra que chacune des tâches est absolument unique : peut-être une invitation à dépasser ses a priori sur les choses et les personnes et à saisir l’irréductible singularité de chaque individu ? Il faudrait le lui demander. Une autre particularité de cet artiste est son utilisation de supports très variés : des couvercles de tonneaux à la toile cirée, ses tâches se posent où bon leur semble et c’est peut-être leur manière d’affirmer leur liberté.
La couleur fugue, donc, dans cette exposition exceptionnelle, où chaque œuvre réalise une union libre mais tout à fait féconde, avec l’architecture unique de Frank Gehry.
Commissaire général de l’exposition : Suzanne Pagé, Directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton
François Bouyé
Du 4 mai au 29 août 2022
Fondation Louis Vuitton, 8 Av. du Mahatma Gandhi, 75016 Paris
Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 20h et le samedi et dimanche de 10h à 20h