La magie lente
Vous connaissez désormais mon mode de fonctionnement : je ne lis jamais les dossiers de presse, préférant me laisser charmer par le graphisme d’une affiche, la présence au casting d’un comédien que j’admire. Et parfois par un titre poétique ou énigmatique. Le mélange d’un peu tous ces ingrédients m’a poussé à assister à la générale de presse de « La magie lente ». Tout d’abord de par la mise en scène assurée par Pierre Notte, dont j’avais déjà adoré le travail sur « Noce » de Jean-Luc Lagarce ou tout récemment sur « Une actrice » où il dirige la divine Judith Magre. Ensuite l’étrangeté de cette photo d’enfants qui, alliée au titre, pourrait induire en erreur le spectateur croyant s’engager dans quelque conte malicieux.
Pierre Notte semble avoir des marottes ou à tout le moins des sujets de prédilection puisque d’une certaine manière, il retrouve le chemin qu’il avait emprunté dans « L’histoire d’une femme ». Celui des blessures intimes, de cette enclume qui pèse sur l’âme après que fut bafoué le temple sacré du corps. Boris Cyrulnik nous explique l’impossible oubli mais l’obligation de faire acte de résilience, afin de construire sa vie après le torrent de larmes. Cette pièce ne dit finalement rien d’autre. Mais pour y parvenir et entrevoir le bout du tunnel dans lequel on se trouve enfermé, parfois même sans en avoir conscience, l’on doit pouvoir accepter l’appel. Un appel pouvant provenir d’un père, d’un ami, d’un enseignant, d’un psychologue…
Un appel pour évacuer les monceaux de merde dans laquelle on est englué. Pour tuer toute forme de culpabilité. Pour soigner un peu l’innocence salie. Pour verbaliser aussi et avant tout. L’auteur Denis Lachaud entreprend ce travail-là. Un calvaire à gravir, pas à pas, pour trouver les mots, aussi crus fussent-ils. D’abord un, puis un autre, et puis d’autres encore. Les expulser de soi, les faire sortir de sa gorge pour qu’ils soient dits, entendus, compris, digérés. Quel paradoxe de devoir vomir les mots pour espérer les digérer… la litanie sera pourtant salvatrice, au milieu d’un océan de rage et de sanglots.
A ce jeu terrible du réel, auteur et metteur en scène se trouvent magistralement servis par le comédien Giros Benoit, bouleversant d’humanité, de simplicité pour exprimer toute la fureur et la peine. A n’en pas douter, son interprétation comme la pièce elle-même feront tourner bien des têtes, au sens propre comme au sens figuré, lors de la prochaine édition d’Avignon.
Pour saisir la genèse et lever le voile sur quelques mystères de ce projet artistique, Vents d’Orage reçoit au micro d’It Art Bag, celui par qui tout a commencé, l’auteur Denis Lachaud :
Le pitch : Lors d’un colloque en psychiatrie, un praticien fait une communication sur l’erreur de diagnostic.
Monsieur Louvier a été diagnostiqué schizophrène il y a dix ans. À tort. Guidé par un nouveau psychiatre, il va progressivement découvrir qui il est et pouvoir se réconcilier avec lui-même.
Louvier prend connaissance de son passé et de ses secrets enterrés. Terribles et déterminants. Au fur et à mesure du récit de la tragédie de son enfance, de sa vie, la libération de M. Louvier se dessine.
Le texte de Denis Lachaud raconte une histoire atroce et pourtant simple, l’histoire d’un homme qui ne vit pas sa vie depuis un traumatisme de l’enfance et part à sa recherche.
Il restitue la douleur mais aussi la lumière de cette quête de vérité.
Louvier va progressivement se reconnecter avec sa propre histoire, à l’opposé de celle qu’il s’était dessinée et qu’on lui avait diagnostiquée.
Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.
La magie lente
Auteur : Denis Lachaud
Mise en scène: Pierre Notte
Avec : Giros Benoit
Du mercredi au samedi à 19h15, le dimanche à 15 h00, jusqu’au au 15 avril 2018 (puis au Festival d’Avignon avant un retour dans la capitale en fin d’année, au Théâtre de la Reine Blanche) au
Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
David Fargier