L’association de la Demeure Historique : de 1924 à 2024, un engagement pour que la France demeure

100 ans ! Olivier de Lorgeril, président de la Demeure Historique, ne cache pas sa joie durant son discours de lancement du centenaire de l’association (1924-2024) ce vendredi 31 mai. Ce sont plus de 700 personnes venues de toute la France, mécènes ou propriétaires de demeures privées, membres de l’association, qui se sont retrouvées au cœur de la splendide demeure du Château de Villandry (Touraine), là où cette fabuleuse aventure a commencé autour du visionnaire Joachim Carvallo. Entre satisfaction des projets accomplis durant ce siècle et défis à affronter pour le prochain, la Demeure Historique veut poursuivre son rôle d’acteur majeur dans la protection et la valorisation du patrimoine en France.

De la Bretagne en passant par la Loire, le Nord mais aussi les outre-mers, la France recèle un patrimoine historique riche et divers. « Les visiteurs étrangers ne viennent pas pour notre maîtrise des langues » souligne, ironiquement, Stéphane Bern, invité d’honneur du centenaire. La France, première destination touristique mondiale, attire au contraire pour son patrimoine hors du commun. C’est donc « un devoir moral de l’entretenir » poursuit l’animateur.

Les applaudissements sont nourris. Les centaines de propriétaires-gestionnaires de demeures patrimoniales, comme ils sont appelés au sein de l’association, reconnaissent l’engagement sans faille du très médiatique présentateur de Secrets d’Histoire sur l’audiovisuel public. « Nous avons besoin de vous » lance Olivier De Lorgeril, conscient de l’aura médiatique de son invité.

Bien que reconnue d’utilité publique, l’association peine encore à réellement peser. La faute à une communication institutionnelle parfois peu visible, mais aussi un manque de coordination entre les différents propriétaires et gérants des demeures patrimoniales et historiques que l’association représente et promeut. La présence de l’instigateur du Loto du patrimoine apparaît donc comme salvatrice. En 7 ans, Stéphane Bern a pu récolter près de 300 millions d’euros, permettant de sauver 875 monuments. Des chiffres qui font rêver l’auditoire !

Au commencement, des ruines

Mais qui sont ces propriétaires-gestionnaires ? A la tête de châteaux, de manoirs, d’anciennes fermes, les 3000 membres de la Demeure Historique sont des hommes et des femmes, héritiers ou investisseurs de lieux historiques, classés ou non.

Tous souhaitent quelque part marcher dans les pas de Joachim Carvallo. Ce médecin d’origine espagnole est le symbole de la Demeure Historique. Persuadé que la préservation du patrimoine historique est une nécessité, il fonde, il y a 100 ans donc, cette association.

Novateur dans son approche, il estime que la préservation du patrimoine a pour corollaire sa valorisation. « Le capital artistique de la France n’est pas suffisamment connu » estimait-il à l’époque. Dès lors, il voit dans l’ouverture au public de ces demeures historiques, un double levier permettant d’assurer, d’une part, leur promotion et leur connaissance par le grand public et d’autre part, leur conservation par les entrées payantes des visiteurs.

Le procédé nous semble aujourd’hui évident. Pourtant, au début du XXe siècle face à un Château de Villandry en « état d’abandon », il fallait être profondément passionné et assuré de son entreprise pour lancer ce projet.

Le dévouement sans relâche de Carvallo et son amour pour l’Histoire de France, dont le reflet le plus net sont les monuments patrimoniaux, forcent le respect. Un bel hommage lui est rendu pour ce centenaire : en organisant ce dernier au coeur de sa demeure restaurée par ses soins, une « évidence » pour de Lorgeril ; mais aussi en présentant une exposition élogieuse de son oeuvre, au travers de ses réalisations et des engagements menés par son association durant ces années.

Alix de Guitaut-Vienne, commissaire de l’exposition, nous plonge dans la vie quelque peu méconnue dece passionné d’art espagnol. On suit son parcours, de son arrivée à Villandry, à ses influences artistiques – notamment l’art hispano-mauresque qu’il découvre à l’Alcazar de Séville – qui ont façonnées les désormais célèbres jardins desa demeure des bords de Loire.

Inaugurée par Stéphane Bern et le Président de l’association, cette exposition se veut itinérante. Elle sera donc présentée, simultanément, dans différentes demeures tenues par des membres de l’association.

Succès nombreux, soutiens coûteux

Derrière ces scènes de joie et ces célébrations, le Président de l’Association souligne néanmoins la « raréfaction » des aides aujourd’hui. Il vante ainsi le modèle de la Demeure Historique qui parie avant tout sur la propriété privée pour faire valoir les joyaux du patrimoine français.

Deux membres normands de l’association soulignent, en ce sens, que la propriété en tant que concept juridique, a joué le rôle d’une véritable « œuvre sociale », bâtissant la France telle que nous la connaissons aujourd’hui. « Certains diront que c’est un paternalisme dévorant » anticipent-ils. Pourtant, ce modèle a permis l’éclosion d’un véritable « art de vivre à la française, que nous tentons toujours de suivre » soulignent-ils.

Raison de plus, selon eux, pour soutenir ces différents lieux chargés d’histoire. Pour ce faire, trois types de financements ont été mis en évidence par la Demeure Historique. Il y a tout d’abord le financement public, celui de l’Etat ; l’association assure un suivi et une aide concrète pour l’ensemble de ses adhérents – de la demande de financement, à son effectivité.

Ensuite, vient le mécénat ; un pan important qui doit constamment être développé. Il complète le troisième axe, celui du financement par les visiteurs. Primordial, ce dernier est encouragé par l’association qui propose à ses adhérents différentes formations, clefs en main, permettant de comprendre comment « ouvrir une boutique souvenirs » par exemple.

Sur la question des visiteurs et de l’attractivité des demeures, Jean-Louis Remilleux, producteur de l’émission Secret d’Histoire et propriétaire du Château de Digoine (Bourgogne), souligne l’importance de proposer des événements au sein des lieux historiques. « Il faut faire vivre vos demeures » invite-t-il, en s’adressant à une assemblée conquise.

Comme tous les primo-accédants de demeures historiques, ce dernier a dû batailler pour exister : nouer des liens avec les différents pouvoirs publics, organiser des événements, inviter la presse… Et l’acharnement ne paie pas nécessairement ! Ainsi, « je n’ai toujours pas de panneau sur l’autoroute » raconte-t-il, après avoir pourtant « reçu près de sept préfets, mais aussi des sous-préfets, présidents de régions et de départements qui m’ont tous assurés que : « c’était fait ! ».

L’anecdote fait mouche : les rires sont nombreux dans la salle. Néanmoins, les regrets sur le peu de soutien que manifestent parfois les différents organes de l’Etat, sont bien présents. Marie-Caroline Soavina, représentante de l’association en Ile-de-France, ou bien ce couple propriétaire-gestionnaire d’une forteresse dans l’Indre, font ainsi part d’une certaine lassitude.

Cependant, malgré ces quelques ombres au tableau, cette journée démontre que « nous sommes porteurs de valeurs d’inclusion et de bienveillance » souligne la déléguée francilienne. Serge Lacaze, propriétaire du Château de Montautre à Fromental (Haute-Vienne), abonde en ce sens. Ce dernier rappelle, par ailleurs, que « nos actions font vivre la collectivité » et apportent tout autant aux touristes qu’aux locaux. « La passion et l’amour du lieu appartiennent à tous » conclut-il, prenant l’exemple d’une « Journée Gauloise(une journée à thème), où 18 bénévoles sont venus m’aider pour l’occasion dans mon château ».

Ancrée dans l’Histoire, tournée vers l’avenir

Et la suite ? Le Président de l’Orgeril l’assure : « les défis ne manquent pas » et la motivation de l’ensemble des membres reste intacte. Ce dernier relève trois axes principaux : la « transmission » et le « financement », deux points qui sont dans la continuité de l’action de l’association depuis sa création ; le troisième point, celui du « défi de la transition énergétique et écologique » est, en revanche, novateur.

C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures. La Demeure Historique se veut ainsi être une boussole, en ces temps troublés, face à la question écologique. Grâce à ces demeures qui « incarnent la durabilité, les matériaux naturels, le circuit court » liste le Président, l’association a la capacité de faire valoir un véritable savoir-faire, une expertise de terrain.

En ce sens, pour s’appuyer sur ce laboratoire à ciel ouvert qui regroupe des milliers de lieux à travers l’ensemble de l’Hexagone – donc des climats et des milieux naturels différents -, un Observatoire « Monument historique et développement durable » est annoncé, chapeauté par l’universitaire Grégory Quenet de l’université Paris-Saclay. L’entité aura pour objectif de relever les différents points qui pourraient être améliorés, afin de réaliser la mutation éco-responsable des différentes demeures de l’association.

Ancrée dans l’Histoire mais résolument tournée vers l’avenir, la Demeure historique compte en effet profiter de son expérience et de son union pour encourager un développement où ambitions de rentabilité et d’écologie se mêlent autour d’une promotion d’un modèle de « slow-tourisme ». Depuis 2021 et la création du Passeport des Demeures Historiques, l’envie de l’association de s’ouvrir et de se faire connaître en créant des synergies entre les domaines, est réelle.

Le projet doit dorénavant être poursuivi et accéléré pour permettre de faire rayonner l’ensemble de ces demeures à hauteur de leur contribution économique potentielle. « 1 euro investi est égal à 24 euros récoltés » souligne ainsi Olivier De Lorgeril. Le multiplicateur keynésien aux accents patrimoniaux est à portée de main. La Demeure Historique n’attend que son Roosevelet.

Gabriel Moser

100 ans de l’association de la Demeure Historique au Château de Villandry le 31 mai 2024, un événement sous le haut patronage de Monsieur Emmanuel Macron, président de la République et sous le parrainage du ministère de la Culture et de sa ministre, Rachida Dati.

Président de l’association : Olivier de Lorgeril, propriétaire-gestionnaire de La Bourbansais (Ille-et-Vilaine). Présences notables de : Stéphane Bern, animateur et invité d’honneur, Louis Carvallo, propriétaire du Château de Villandry et du marquis Henri-François de Breteuil, président de l’association de 1982 à 2002, membre et président d’honneur.

Du 31 mai au 31 octobre 2024, l’exposition La Demeure Historique : 1924-2024, 100 ans de Passion, d’Innovation, de Transmission est présentée au Château de Villandry.

Château et Jardins de Villandry, 3 rue Principale, 37510 Villandry.

Du 23 juin au 31 octobre 2024, exposition à retrouver dans 13 autres demeures membres.

Liste complète sur le site de l’association : https://www.demeure-historique.org/