Fondé en 1933, à la suite des trois autres grands prix institutionnels — le Prix Goncourt (1902), le Prix Femina (1904), le Prix Renaudot (1926) —, le Prix des Deux Magots est l’une des plus anciennes et prestigieuses distinctions littéraires françaises, ancré au cœur de Saint-Germain-des-Prés.
Traditionnellement remis en janvier, il est désormais attribué chaque dernier lundi de septembre, s’inscrivant comme le premier grand prix de la rentrée littéraire de l’automne.
Le prix est doté d’une enveloppe de 7700 euros, afin d’encourager et soutenir les lauréats dans leurs travaux d’écriture.
90 ans de liberté d’esprit
La fantaisie, l’audace et la liberté de choix sont les vertus cardinales et immuables du prix depuis sa création.
En distinguant Raymond Queneau, alors peu connu du grand public, le jury de l’année 1933 jette un pavé dans la marre. Le ton est donné : le Prix des Deux Magots, créé en réaction au Prix Goncourt jugé trop académique, suivra sa propre voie, en accord avec l’esprit des lieux : artistique et non-conformiste par excellence.
Si Les Deux Magots est, dès le début du XXe siècle, l’endroit où les artistes se rencontrent, mènent des débats, participent à l’élaboration de leur courant artistique, il est aussi le témoin des nombreuses frasques d’une jeunesse insolente. Parmi les grandes heures de l’établissement, citons le coup de pistolet tiré par Alfred Jarry sur l’un des miroirs du café. Après quoi, il déclara à sa voisine de table : « Maintenant que la glace est rompue, causons ! ».
Cet esprit d’impertinence domine l’histoire du prix jusqu’en 1971. Henri Philippon récompense son dernier lauréat, le caustique Bernard Frank pour son œuvre Un siècle débordé ; le prix était revenu l’année précédente à l’iconoclaste Roland Topor pour son livre Joko fête son anniversaire.
Le Prix 2023
Les membres du Jury : présidé par Étienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire et écrivain ; Laurence Caracalla, Journaliste et écrivain ; Isabelle Carré, Actrice et écrivain ; Jean Chalon, Journaliste et écrivain ; Jean-Luc Coatalem, Journaliste et écrivain ; Eric Deschodt, Journaliste et écrivain ; Pauline Dreyfus, Écrivain ; Clara Dupont-Monod, Écrivain et éditrice ; Benoît Duteurtre, Producteur de radio et écrivain ; Pierre Kyria, Écrivain ; Marianne Payot, Journaliste ; Abel Quentin, Écrivain.
Le 4 septembre dernier, les douze membres du jury du Prix des Deux Magots se sont réunis afin de délibérer sur la première sélection annoncée le 4 juillet dernier et retenir quatre ouvrages :
Guy Boley, À ma sœur et unique, Grasset
Nicolas Chemla, L’Abîme, Le Cherche Midi
Julie Héraclès, Vous ne connaissez rien de moi, JC Lattès
Gaspard Koenig, Humus, L’Observatoire
Le 25 septembre 2023, à midi, le jury s’est entretenu – autour d’une table dressée au milieu des invités (!) – pour choisir le lauréat 2023. Le vote a eu lieu à bulletin secret.
Et le lauréat est … Guy Boley, pour A ma soeur et unique, paru chez Grasset.
« Elisabeth Förster fut l’unique sœur de Friedrich
Nietzsche, écrivain, philologue, philosophe, être perpétuellement souffrant,
vivant dans une solitude totale. De deux ans sa cadette, elle fut sa première
lectrice, compagne, admiratrice. Tôt, elle se promet de tout faire pour que
brille l’œuvre de son frère à laquelle elle n’entend rien. En effet, elle fera
tout. Le soignera, l’assistera, le portera. Et ira jusqu’à vendre ses écrits à
Adolf Hitler, homme que Friedrich eut haï s’il l’avait connu.
Dans ce roman écrit d’un souffle, Guy Boley retrace chaque épisode de leurs
vies : leur enfance complice à Naumburg, leur vie conjugale à Bâle où
Fritz est professeur et où Lisbeth l’assiste, les week-ends chez les Wagner
puis la rupture ; l’affaire Lou-Salomé, le mariage d’Elisabeth avec
Bernhard Förster, antisémite déclaré avec lequel elle part en 1886 au Paraguay,
fonder la colonie Nueva Germania. Pour revenir trois ans après, au chevet de
son frère tombé dans la folie, inconscient, alité, qu’elle dit soigner mais
qu’elle va trahir et spolier.
Amour, solitude, vengeance, trahison ; ambition dévorante, génie, haine,
héritage, cruauté. Tout y est. Même les dieux qui Là-Haut jouent aux dés.
L’équivalent en prose d’un drame shakespearien. »
Deux livres pour prolonger le Prix et les Deux Magots
– 90ème prix des Deux Magots, 90 ans de liberté d’esprit – ouvrage réalisé en partenariat avec Le Passeur Editeur – qui relate l’histoire du prix, année par année
– Aux Deux Magots, De la bonneterie à la limonade de Jean-Paul Caracalla (Secrétaire général du Prix des Deux Magots pendant près d’un demi-siècle) : Aux Deux Magots n’a pas toujours été ce café renommé, rendez-vous des écrivains, des artistes et des touristes. Au début du XIXe siècle, c’est un magasin de nouveautés qui ouvre ses portes à Saint-Germain-des-Prés, où les Parisiennes se fournissent en tissus et autres falbalas. Mais la concurrence des grands magasins est rude et l’endroit se transforme en bureau, puis en dépôt de vin. Autant d’activités qui périclitent, jusqu’à ce que le lieu devienne, en 1914, ce café indissociable de la vie germanopratine. Depuis, rien n’a changé, des banquettes rouges aux deux statues néo-chinoises – les fameux deux magots –, qui ont vu défiler nombre de légendes, de Louis Aragon à Jean-Paul Sartre, d’Ernest Hemingway à Pablo Picasso., – une romanesque histoire de ce lieu mythique.
Les Deux Magots : Une institution culturelle
Depuis la création du Prix des Deux Magots, la famille Mathivat n’a cessé de soutenir la production artistique. Une histoire que continue d’écrire Catherine Mathivat, dernière descendante en charge de la présidence et du développement de l’établissement.
Ainsi, en 1997, Les Deux Magots accompagne la création du Prix Pelléas qui récompense « l’ouvrage sur la musique aux plus belles qualités littéraires ». Depuis 2018, le café abrite également le Prix Apollinaire, plus grand prix de poésie en France. Autour de leurs trois prix, Les Deux Magots organise une « saison » de rencontres littéraires (les « Lundis des Écrivains »), des concerts (les « Jeudis du Jazz ») et des soirées exceptionnelles (« L’été littéraire des Deux Magots ») fréquentés par de nombreuses personnalités du monde artistique d’aujourd’hui.
Les Deux Magots, 6 place Saint-Germain-des-Prés, 75006 Paris
Ouvert tous les jours de 7 h 30 à 01 h
photos : Véronique Spahis