Ce superbe ouvrage, L’Art du tatouage en Birmanie, présente les coutumes du tatouage dans cette région d’Asie et les maîtres de ce grand art. Pour illustrer ce livre, il fallait des photos d’excellence, c’est pourquoi l’autrice Lucie Friedrich a fait appel à la reportrice d’images Morgane Stemmelin. Cet art millénaire garde dans cette contrée toute la force de son rituel et de sa magie. Le tatouage traditionnel avec des figures de protection reste l’un des points essentiels de la culture birmane. Nous avions déjà abordé les tatouages de protection dans notre article « Tatouage : 3ème ou 11ème art ».
L’autrice resitue cette tradition dans le contexte de la Birmanie, de sa religion : le bouddhisme ; de ses moines qui sont aussi, parfois de grands tatoueurs ; des arts martiaux où les maîtres arborent des tatouages de virilité ou de protection. Lucie Friedrich consacre tout un chapitre sur ce dernier point. Ces tatouages de virilité sont réservés aux hommes et représentent des images de dieux ou d’animaux. Ils sont tatoués sur les parties où la peau est fine, comme l’intérieur de la cuisse ou l’arrière du genou, ce qui rend leur réalisation longue et douloureuse. D’ailleurs, un proverbe birman dit « Le lâche ne montre ses tatouages que lorsque le voleur s’est enfui ». La dimension guerrière de ce tatouage incarne un atout pour le mariage des jeunes garçons. Les boxeurs et les adeptes des arts martiaux affichent généralement des tatouages de protection. Les photos sur ce sujet révèlent la complexité des dessins.
Le pouvoir de l’encre
Généralement, l’encre noire est utilisée pour les tatouages classiques de protection, tandis que la couleur rouge est réservée pour les tatouages, les plus nobles, les plus puissants. La fabrication de l’encre varie en fonction des tatoueurs, plus sa composition est complexe, plus elle aura de force pour participer au processus de protection. Certaines préparations requièrent même les facultés d’un astrologue. L’écorce de l’arbre Banyan, appelé aussi l’arbre des esprits contribue souvent à l’élaboration de l’encre noire. Lucie Friedrich a rencontré Sai Kun Seng, maître tatoueur et maître en arts martiaux qui explique que son encre est mélangée avec le sang d’un ancien roi, mort il y a plus de 700 ans. Cet assemblage confère à son encre un immense pouvoir, et qui vaut, que de toute la Birmanie, l’on vient se faire tatouer chez lui. Mais il ne suffit pas de disposer d’une encre puissante, il faut aussi observer les cinq principes de base du bouddhisme : ne pas mentir, ne pas faire de mal à des êtres vivants, ne pas avoir de comportement sexuel inconvenant, ne pas consommer de drogue ni d’alcool et enfin ne pas voler. Sans le respect de ses règles, par le maître et le tatoué, la protection du tatouage ne sera pas effective et pourrait même se retourner contre ce dernier.
Requérir un tatouage de protection, c’est consentir au pouvoir surnaturel des tatouages. Les experts de la maîtrise des serpents le savent, la pratique de leur art rime avec mortel. L’on comprend bien que la présence de tatouages de protection est primordiale. Charmer des serpents, en l’occurrence des cobras est un art ancestral de l’Asie, et contrairement à une idée reçue, le cobra n’est pas débarrassé de ses crochets et de son venin. De fait, la danse du cobra où l’exécutant doit embrasser la tête du reptile est un périlleux exercice. U Sein Tin explique que ses tatouages de protection ralentissent l’effet du venin, ce qui lui a permis d’avoir le temps de se rendre à l’hôpital, les 24 fois où il a été mordu par un cobra. Dans l’une de ses superbes photos de Morgane Stemmelin a capturé l’instant où une jeune birmane appose un baiser sur la tête déployée d’un cobra. U Kan Nyaunt, maître tatoueur déclare : « Toute personne qui se bat se doit d’être protégée, quel que soit son combat. »
Barbara Ates Villaudy
l’Art du tatouage en Birmanie, Éditions L’Harmattan, 222 pages, 21 x 29,7 cm, 38 euros
À propos des autrices :
Lucie Friedrich est écrivaine, chercheuse en ethnologie, reporter et psychographologue. Elle a fondé un pôle de recherches associatif dédié aux croyances.
Morgane Stemmelin est journaliste reporter d’images