Le songe d’une nuit d’été au théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt

Des lumières blanches tombant des cintres qui délimitent un espace scénique, des voiles qui servent d’écran de projection et dissimulent partiellement la scène et les acteurs, des arbres qui se dressent dans la nuit et derrière lesquels se cachent des elfes qui affolent les protagonistes par des philtres d’amour, on l’aura compris : toute la féerie et la poésie de cette pièce est ici représentée avec pertinence et dynamisme par Emmanuel Demarcy-Mota.

Le songe d’une nuit d’été est pourtant une pièce difficile pour un public français. Une superposition foisonnante de personnages, des images fortes et des dialogues crus, des jeux de mots dont la traduction est malaisée, une versification très différente de celle des pièces classiques françaises peuvent empêcher le spectateur d’entrer dans sa magie et de s’y laisser conduire. La représentation peut rapidement apparaître comme un exercice de style qui laisse le spectateur au bord des routes de la poésie.

La troupe d’acteurs dirigée par E. Demarcy-Mota a évité cet écueil. Le rythme est rapide et les situations se succèdent sans relâche sur scène, les retournements sont nombreux et inattendus pour qui découvre la pièce. C’est peut-être aussi cette volonté de surprendre le spectateur, ou bien le simple souhait de s’inscrire dans l’air du temps, qui a conduit le metteur en scène à faire porter le rôle de Thésée, qui règne sur Athènes, par une actrice alors que son amour, Hippolyta, se transforme en Hippolyte et est interprété par un homme.

Les changements de décor sont quasiment immédiats grâce à des troncs d’arbre descendus des cintres et qui figurent parfaitement le cadre onirique d’une forêt où la nature oscille en permanence entre une perception bienveillante ou menaçante. Grâce à un jeu de lumière très convaincant, la nuit de la forêt est rendue avec efficacité et permet aux puissances de l’ombre de mettre en œuvre leurs sortilèges.

Ces sortilèges sont le fait d’elfes facétieux qui donnent des philtres d’amour aux protagonistes tout en laissant une grande part au hasard quant à la poursuite des événements. Le spectateur retombe alors en enfance et attend avec impatience de voir qui va aimer qui et quel sera le dénouement de l’intrigue. C’est là la grande force de cette mise en scène que d’entraîner grands et petits, pour leur plus grand plaisir, dans une rêverie agitée et plutôt burlesque où la logique n’a pas sa place.                                                                  

Une mention particulière doit être accordée à Elodie Bouchez pour son interprétation du rôle d’Héléna qui introduit avec tact toute l’émotion d’une femme blessée, repoussée par celui qu’elle aime. C’est le seul rôle qui tend à nous faire sortir du songe et de ses personnages irréels et fantasmatiques pour nous ramener à la réalité de la condition humaine et à ses souffrances.

La pièce se termine par un morceau de bravoure consacré à une représentation théâtrale (« la pièce dans la pièce »). L’exercice est difficile car il s’agit de tourner en dérision une représentation tout en reconnaissant, au second degré, une très grande maîtrise de leur art aux acteurs. Le charme retombe un peu dans ces derniers moments. Mais ne boudons pas notre plaisir pour si peu, et montons gaiement dans ce bateau qui nous ramène aux joies de l’enfance.

Philippe Raimbourg

Jusqu’au 10 février 2024

Le songe d’une nuit d’été de W. Shakespeare. Mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.

Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, 2 Place du Châtelet, 75004 Paris

https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2023-2024/theatre/le-songe-dune-nuit-dete