Le tabou de la maternité

Si je devais décerner le prix du livre de l’année, je l’attribuerais sans conteste à Orna Donath pour son ouvrage : « Le regret d’être mère ». Cette chercheuse israélienne, doctoresse en sociologie a lancé une étude sur les femmes qui regrettaient d’avoir enfanté.

En abordant le sujet des femmes qui regrettent d’être devenue mère, Orna Donath s’attaque au plus grand tabou qui soit. Quel que soit la société : capitaliste, communiste, occidentale, orientale, bouddhiste, chrétienne, indouiste, judaïque ou musulmane, le même apophtegme revient, une femme qui n’est pas mère, n’est pas accomplie. Une femme qui refuse d’être mère, s’attire les foudres de la société. Elle est égoïste, malade, anormale, sans cœur. On lui prédit le pire, le regret. Via des forums de discussion, Orna Donath lance une étude sur plusieurs femmes regrettant d’être mères. Puis, elle en rencontre 23 individuellement et c’est à partir de leurs témoignages, que Donath retrace leurs ressentis, leurs regrets.

Toutes ces mères expliquent qu’elles aiment leurs enfants, mais que si c’était à refaire, elles voudraient ne pas être mères. Ces femmes portent douloureusement leur secret, car pour la société l’instinct maternel, c’est génétique c’est une particularité que nous sommes toutes censées avoir reçue. Si un homme n’a pas d’instinct paternel, c’est un fait. En revanche une femme qui n’a pas d’instinct maternel, c’est intolérable, c’est contre nature. De fait, il est difficile pour ces femmes d’exprimer leur souffrance, le sujet est tabou. Elles doivent cacher leurs sentiments, cela conduit à la coexistence de la haine et de l’amour. La société accable les femmes d’un poids énorme, elles se doivent d’être une bonne mère. C’est une exigence irréaliste. Il n’y a pas de bonne mère, juste des femmes qui tâchent de faire de leur mieux. Elles sont sans cesse jugées, critiquées. Dans cet ouvrage, certains témoignages montrent qu’elles oublient leur propre vie pour se dissoudre dans la vie de leurs enfants.

Et, la société continue de maintenir sa pression sur les femmes pour qu’elles soient mères, ce 24h/24. Après un divorce, un homme qui ne voit plus ses enfants, ne fait pas la une des journaux. En revanche, la même attitude pour une femme sera perçue différemment. Elles sont montrées du doigt, vilipendées. Il est effrayant de lire dans cette étude qu’après leur premier enfant, des femmes ayant pris conscience de leur non-plaisir à être mère, ont cependant continué d’avoir d’autres enfants, ce, à cause de la pression, du père et de la famille.

Lorsqu’une femme annonce qu’elle n’est pas tentée par la maternité, on lui répond : « Tu ne peux pas savoir, tu n’as pas essayé ». Et si après le premier enfant, elle tente d’exprimer une non-satisfaction à son nouveau statut de mère, on lui rétorque : « essai, avec deux enfants, c’est plus facile, cela va tout changer ». Il y a une réelle pression de la société, de l’entourage, de la famille pour que chaque femme devienne mère. L’ordre du monde ne doit en aucun cas être ébranlé et celles qui refusent de se soumettre représentent une menace. Que l’on soit femme sans enfant ou avec, ce livre est à lire par toutes. Le paradoxe d’aimer profondément ses enfants et de regretter d’être mère est fort troublant. Les confessions de ses femmes suscitent des réflexions, des questions qui auront un écho chez beaucoup d’entre nous, la maternité étant loin d’être simple.

Barbara Ates Villaudy

A propos de l’auteur :

Docteur en sociologie, Orna Donath enseigne en Israël à l’Université de Ben Gourion et à l’Université de Tel Aviv.  « Le regret d’être mère » est le premier livre de cette féministe convaincue.

Editions Odile Jacob, 240 pages, 145 x 220 mm, 21,90 € – Format numérique, pdf et epub, 14,90 €