Le Musée du Luxembourg réunit Claude et Léon Monet dans une exposition qui revient sur les relations entre le peintre et son frère aîné, collectionneur et fabricant de « couleurs ».
Léon Monet (1836-1917) est le frère aîné de Claude Monet (1840-1926). Hélas méconnu, il a pourtant joué un rôle considérable dans la carrière du peintre. Négociant à Rouen, puis représentant de commerce pour la société bâloise Geigy et Cie spécialisée dans les colorants chimiques, il fonde en 1872 la SIR, Société industrielle de Rouen, qui développe et commercialise les textiles. Les couleurs synthétiques, dont Léon est un expert, supplantent désormais les colorants naturels, révolutionnant ainsi l’ancienne tradition locale du textile. Tissus pour ameublements, vêtements ou indiennes, déploient alors des teintes toujours plus variées. Une salle « haute en couleur » est consacrée à ces activités industrielles rouennaises, présentant notamment des collections d’échantillons.
Dans le laboratoire rouennais de Léon nommé « la cuisine aux couleurs », s’élabore ainsi toute une variété de nouveaux pigments synthétiques, plus intenses que les pigments naturels. Dès lors une question se pose : Claude a-t-il eu accès à cette palette éclatante de couleurs ? Selon la commissaire de l’exposition Géraldine Lefebvre, « à la fin du XIXème siècle, 80 % des productions de la mouvance impressionniste étaient faites avec des peintures chimiques. » Impossible en revanche de savoir si Claude a utilisé les pigments issus des ateliers de son frère Léon. Ce qui est certain, c’est que les deux frères partagent ce même goût pour la couleur.
L’exposition évoque également le rôle important qu’a joué Léon, non seulement pour la carrière de son jeune frère, mais aussi pour celle des peintres impressionnistes, dont il a été le premier mécène. En effet, il acquiert plusieurs toiles de Claude exécutées en 1864, à une période où les amateurs se font rares. Léon devient alors collectionneur et constitue une remarquable collection de peintures impressionnistes, signées par Camille Pissarro, Alfred Sisley ou encore Auguste Renoir, dont la toile Paris, l’Institut au Quai Malaquais (1872), est exposée.
Si l’exposition réunit des œuvres signées par les noms des grands peintres impressionnistes, elle propose aussi au visiteur de découvrir quelques toiles des peintres de l’école de Rouen, autour d’un parcours mettant en évidence l’attrait de Léon Monet pour les paysages de sa jeunesse passée au Havre.
Les côtes normandes et ses ports sont largement représentés chez Claude Monet, à l’image de La plage de Sainte-Adresse (1864), peinte en contrebas des falaises du cap de la Hève, le dos tourné à la ville du Havre et de Navires en réparation (1873). C’est ici, au Havre, que Monet fait la connaissance d’Eugène Boudin, à qui il reconnaît, en fin de carrière, une dette essentielle: « Si je suis devenu peintre, c’est à Eugène Boudin que je le dois. Boudin, avec une inépuisable bonté, entreprit mon éducation. Mes yeux à la longue s’ouvrirent, et je compris la nature ». (entretien avec G. Jean Aubry, cité par Sylvie Patin, dans Monet, un œil… mais bon dieu, quel œil ! 2010) L’école de Rouen quant à elle, est représentée entre autres, par Narcisse Guilbert qui peint Etretat. Porte d’Amont vers 1907.
De magnifiques photographies en noir et blanc de Gustave Le Gray complètent le tour d’horizon des côtes normandes, dont, Les galets, plage de Sainte-Adresse (1856-1857). Jonglant en virtuose avec les techniques, ses marines, réalisées principalement en Normandie et à Sète lui valent à l’époque une gloire internationale.
La suite du parcours évoque le Rouen industriel auquel participa Léon Monet. L’industrialisation et l’expansion des grandes villes au XIXème siècle constituent une véritable source d’inspiration artistique : on pense au recueil Les Villes tentaculaires (1895) d’Émile Verhaeren. Pissarro, lui, est fasciné par les cheminées fumantes des usines de Rouen où il effectue de nombreux séjours. Il cherche à montrer son extension et les nouveaux quartiers se formant autour de la gare. Il peint notamment Environs de Rouen en 1883.
L’exposition « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur », est l’occasion de découvrir deux œuvres inédites de Monet: un émouvant Premier album de dessins réalisé en 1856 et dont les croquis constituent les prémices de son art, ainsi que le Portrait de Léon Monet, peint en 1874. Source d’un malaise certain chez Léon, ce tableau, sans doute jugé trop caricatural, est resté caché de nombreuses années. Le voilà enfin révélé.
C’est une véritable Histoire de famille, de peinture et de couleurs qui se tisse à travers les différentes salles de l’exposition, et où la notion de modernité prend toute sa place. Analysant la peinture de Monet, Paul Lorquet écrit dans Les Maîtres d’aujourd’hui en 1901 : « Voilà les merveilles que produit un grand peintre avec ces procédés singuliers : il fait de l’art avec de la chimie. Mais qu’il lui faut d’habileté et de science ! »
Perrine Decker
Du 15 mars au 16 juillet 2023
Musée du Luxembourg, 19 rue Vaugirard, 75006 Paris
Ouvert tous les jours de 10h30 à 19h – nocturne tous les lundis jusqu’à 22h
Réservations : https://museeduluxembourg.fr/fr/billetterie