Mystère, étrangeté et symbolisme
Du 29 Janvier au 31 Mai 2020, le musée Bourdelle accueille une exposition étonnante : Les contes étranges de N.H Jacobsen. Cette première exposition consacrée au sculpteur et céramiste danois (1861-1941) nous invite à entrer dans son univers onirique.
Alors installé à Paris, -capitale du premier symbolisme, de même que Bruxelles- au milieu du Boulevard Arago, l’atelier de N.H Jacobsen va être le lieu de rendez-vous d’un groupe symboliste danois et francophile. L’exposition se concentre donc sur les années parisiennes de l’artiste. Ainsi, le parcours commence par « 65, Boulevard Arago – un cercle symboliste Danois à Paris. » Au sein de cette première salle, de ce couloir, nous pouvons observer différents portraits et notamment l’autoportrait de l’artiste. Cela permet au spectateur de se situer et de contextualiser l’époque de l’artiste et d’identifier son entourage. Dans la seconde salle, une toute autre ambiance se dégage et dès l’entrée, l’atmosphère onirique et symboliste de l’artiste nous envahit : « La petite sirène » voilà son nom.
La sirène dont de nombreux artistes ont fait le portrait est souvent belle, mystérieuse ou encore meurtrière. Ici, il s’agit de la petite sirène de Hans Christian Anderson (1805-1875), celle qui est associée à la nature, à la rêverie du romantisme des mystères de l’art nouveau. Inspiré par Gustave Moreau (1816-1898) et Odilon Redon (1840-1916), Jacobsen nous offre des sirènes aux volutes et arabesques de l’art nouveau et inscrit son corps serpentin de l’ondine dans une dynamique tournoyante. Ces sirènes nous paraissent vivantes, respirantes de bonheur mais également de douleur voire, elles nous paraissent mortelles. Ce qui est également intéressant dans cette salle, c’est le dialogue instauré entre les autres œuvres de Jacobsen et celles de ses contemporains comme Jens Lund (1871-1924). Cela nous permet d’être transporté dans cette atmosphère brumeuse caractéristique de la présence des sirènes que nous pouvons retrouver dans différents récits antiques comme « L’Odyssée » d’Homère ou encore l’œuvre de John William Waterhouse « Ulysse et les sirènes » de 1891. Ainsi, l’exposition poursuit dans cette univers mystérieux notamment dans les salles qui suivront et qui s’articulent autour des sculptures phares de Jacobsen : « Troll qui flaire la chair des chrétiens », 1896, « L’Ombre », 1897 et « La mort de la mère », 1892.
C’est véritablement en poursuivant l’exposition que nous comprenons d’avantage les différentes influences de Jacobsen. S’inspirant du folklore scandinave, ce « troll », cette immense sculpture, nous renvoie aux pulsions premières et dévastatrices. L’artiste parvient à combiner le symbolisme qui unit et le diabolisme qui sépare et divise. Ainsi, tout en continuant de s’inspirer de l’antiquité comme avec « Le marteau de porte, tête de méduse », qui reste dans le même esprit de cruauté, Jacobsen nous renvoie à notre part d’ombre. En effet, la nature fait que l’ombre en elle-même est insaisissable, elle symbolise l’éphémère et l’incertain, voire elle personnifie la mort. Le royaume de bêtes hybrides et nocturnes dans lequel Jacobsen nous immerge et celui qui hante ses nuits, nous met face à nos propres démons. Avec « L’Ombre », directement inspirée des contes d’Andersen, cette apparition aux crânes grimaçants fait référence aux deux visages de l’homme. Jacobsen continue de nous pousser dans nos retranchements, dans notre introspection. Plus sombre encore que le contes de la petite sirène, « L’Histoire d’une mère » renvoie comme le dit Andersen à « l’impossibilité de partager la fleur du malheur de celle de la bénédiction » ; Jacobsen, plus qu’inspiré par cette phrase illustre ce dilemme horrifiant avec « La mort de la mère ». Cette image de la mort prête à faucher cette femme nous questionne : qui la mort va-t-elle frapper ? Cette femme ou celui qui, trop près, risque de sombrer dans cette espace ondulatoire et fluide produit par ses cheveux et sa robe ?
Cette exposition conçue autour des sculptures majeures de N.H Jacobsen, souligne de manière remarquable les emprunts et les correspondances de langage plastique qui entretiennent avec les projections les plus audacieuses des artistes contemporains de Jacobsen et qui puisent dans les même sources d’inspirations. La scénographie accompagne magnifiquement cette plongée dans l’univers onirique de l’artiste et dans les plus profondes limites de notre conscience. Ainsi, les œuvres de Jacobsen et de son entourage entrainent le spectateur sur la pente de la rêverie en lui faisant puiser au plus profond de lui-même. En faisant jouer la confrontation, la théâtralité ainsi que les différentes perspectives des diverses sections, la scénographie sert au mieux cette « inquiétante étrangeté » de ce monde symboliste. De plus, il est rare de pouvoir contempler une exposition aussi complète ou peinture et céramique sont le maître-mot et qui dialogue entre elles. En effet, il est impressionnant de voir que toutes ces œuvres plastiques nous narrent les contes et légendes d’Anderson mais surtout, nous racontent l’histoire de la conception créatrice de Niels Hansen Jacobsen.
Manon Quantin
Du 29 Janvier au 31 Mai 2020
Musée Bourdelle,
18 rue Antoine Bourdelle, 75015 Paris
Ouvert de 10H à 18H du mardi au dimanche, fermé certains lundis et certains jours fériés (1er Mai 2020)